vendredi 4 juillet 2008

Sur la nature du Djihad en Europe

Je profite du troisième café du matin pour répondre tardivement à l'invitation de Thomas Renard, pour une petit débat sur la question du leaderless jihad/méso-terrorisme ou encore sur l'opposition Hoffman/Sageman sur la structuration du terrorisme djihadiste.

En fait, je pense que ce dernier point est important, l'opposition entre les deux me semblant moins radicale qu'elle n'y paraît (mais comme souvent, l'auteur d'une théorie l'interprétera d'une façon très orthodoxe, idéale-typique et tendant à refuser les amendements qui pourraient lui être apportées).

A l'époque, j'avais mis en évidence le méso-terrorisme (en opposition au macro/hyperterrorisme des attentats de NY, Londres ou Madrid) pour tenter d'appréhender les tentatives qui avaient visé, à l'été 2006, des trains en Allemagne. Mal équipés (des bonbonnes de gaz trafiquées et déposés dans deux trains, si je me souviens bien), les terroristes n'avaient finalement pas réussi. Mais, dans mon esprit, il s'agissait d'une seconde forme de modus operandi dihadiste pouvant résulter des phénomènes d'auto-radicalisation et concomittente à la forme plus "classique" de l'hyper-attentat.

Il pouvait également s'agir d'une mutation plus profonde des tactiques djihadistes - qui restait alors à confirmer, nous manquions alors de recul -, reflet d'une adaptation d'AQ à un envirronement stratégique qui devenait de plus en plus défavorable. Deux ans après, nous avons un peu plus de recul et il me semble que la théorie des réseaux peut expliquer l'apparente opposition entre Hoffman et Sageman. Aussi, je pense que ce que l'on appelle traditionnellement AQ continue d'exercer un leadership doctrinal, favorisant une "labelisation" de groupuscules structurellement situés hors d'AQ ou d'individus auto-radicalisés.

Cette labelisation est d'ailleurs nécessaire au groupe comme à sa doctrine : les leaders traditionnels d'AQ semblent avoir une connaissance des élémentaires de la stratégie et l'adaptation à leur terrain d'action (Irak, Maghreb, Europe, etc.) nécessite une adaptation de la "doctrine officielle" (terme très imparfait mais prenons-le pour son pouvoir illustratif) au théâtre visé. Au demeurant, cette labelisation est congruente à une vision où l'Islam nécessite des interprétations : si "les portes de l'Itjtihad" ont été fermées, le raisonnement par analogie reste prégnant dans nombre d'écoles juridiques.

En fait, l'analogie qui me vient à l'esprit est celle de la transmission de la chaleur : là où Hoffman là voit par conduction, Sageman peut la voir par irradiation. Or, les deux ne sont pas incompatibles : un chauffage par irradiation implique un contact minimal, entre molécules d'air plutôt que par le contact de deux pièces de métal, par exemple. Dans le cas d'AQ, ce chauffage par irradiation est doctrinal : il nécessite à son tour une interprétation par les acteurs et le développement de tactiques qui seront contraintes par le manque de moyens. Ce dernier, au demeurant, est une force et non une faiblesse, comme on l'a trop souvent entendu... le résultat d'une société trop obsédée par la technique que pour faire la part des choses ?

Sur le rôle du contexte économique, je ne manque pas de revenir... Mais après la douche !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Puisque je connais mieux l'islamologie que les réseaux terroristes, je me permettrai une petite rectification : les portes de l'ijtihad sont loin d'être fermées pour les militants jihadistes, qui la pratiquent à temps plein.

Des groupes armés égyptiens des années 1970 jusqu'à Hofstadt, les constructions juridiques de ces islamistes radicaux sont en rupture totale avec les écoles de droit traditionnelles (celle qui, justement, on déclaré la fermeture des portes de l'ijtihad). Ils construisent, en puisant directement dans les sources scripturaires, un argumentaire qui, du point de vue d'un juriste musulman classique, ne tient pas deux secondes.

Ajoutons que les groupes que vous qualifiez de mésoterroristes sont sans doute très peu préoccupés par les arguties juridiques. Par conséquent, je ne pense pas qu'il faille convoquer le "raisonnement par analogie" pour expliquer leur radicalisation, qui est affaire de sociologie et de politique.

Anonyme a dit…

L'analogie avec les modes de transfert thermique est intéressante, car effectivement les visions Sagemanienne et Hoffmanienne ne sont pas mutuellement exclusive.
Une petite remarque en aparté, le transfert thermique par rayonnement n'a pas besoin de matière pour s'effectuer (voir ici)

Athéna et moi... a dit…

Très juste, il faut croire que 3 cafés étaient insuffisants !