vendredi 26 juin 2009

Blub-blub : un deuxième Suffren pour la Marine

Hervé Morin a annoncé la commande du 2e sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda (classe Suffren). Le programme Barracuda, qui prévoit la livraison de six sous-marins entre 2017 et 2028, représente 7,9 milliards d’euros. La Délégation générale pour l’armement (DGA) a notifié le 26 juin 2009 aux entreprises DCNS et AREVA-TA la commande du 2e SNA de nouvelle génération Barracuda, prévu au titre du marché global notifié le 21 décembre 2006.

Parallèlement, l’assemblage de la coque du Suffren, tête de classe, a débuté le 26 juin 2009 par la soudure des deux premiers tronçons situés à l’arrière du sous-marin. Ils seront armés de la future torpille lourde Artemis, du missile antinavire Exocet et du futur missile de croisière naval. Ils pourront également mettre en oeuvre des forces spéciales et leurs équipements.

Lasers : les Américains progressent

Deux nouvelle récentes me semblent indicative de la persévérance US dans le domaine des lasers de combat, alors pourtant que l'ABL est à présent mort. D'une part, l’Advanced Tactical Laser, démonstrateur d’un laser chimique de frappe terrestre installé sur un C-130, a effectué un premier tir en vol, touchant effectivement sa cible dans le centre d’essais de White Sands. Rien de bien neuf : le programme progresse en dépit de retards.

D'autre part des essais ont également été réussis pour le Laser Weapon System (LaWS) de l’US Navy. Il a suivi, ciblé et détruit 5 drones le 7 juin, 2 le 9 juin et 2 autres le 11 juin. Le programme de recherche ambitionne, à terme, de disposer de lasers suffisamment puissants pour assurer la destruction de missiles assaillants. Et, pourquoi pas, remplacer les CIWS et autres RAM assurant la défense terminale des bâtiments US... A suivre donc...

jeudi 25 juin 2009

Drones : des solutions hybrides ?

La bestiole en photo (copyright : US Navy) n'est pas un MH-6 Little Bird, comme elle pourrait le laisser croire, mais sa version "Drone", testée par l'US Navy depuis un petit temps (500 heures de vol au compteur, 1er vol en juillet 06). L'appareil a deux particularités :

- Premièrement, il utilise la cellule pour le moins éprouvée du Cayuse.
- Deuxièmement, il est "dronisable". Bien que pouvant voler seul comme un grand, il peut aussi être piloté, comme le Cayuse d'origine - un avantage pour le vol dans les espaces aériens civils.

Boeing, qui est maître d'oeuvre, précise que l'engin peut être utilisé pour toute une série de fonctions : ISR mais aussi évacuation médicale (d'où les deux conteneurs visibles sur la photo) et peut emporter environ 150 kg de charge utile. Un UAV "bon à tout faire" donc.

Ce qui m'interpelle dans ce programme, c'est sa relative simplicité. S'il faut prendre garde aux inflations de coûts (Boeing est doué pour la question et l'appareil a quelques petits raffinement, comme une capacité ATOL), ce qui m'intéresse ce sont les développements qui peuvent en résulter. En l'occurrence, Boeing et les forces spéciales ont une idée derrière la tête : l'A/MH-6X, avec une charge utile, cette fois, d'1,5 tonnes. Cette tendance à la dronisation d'appareils pilotés n'était pas nécessairement très visible au dernier Bourget mais, par contre, la multiplication des charges ISR sur des appareils de transport légers (TBM-700, King Air et autres appareils Diamond), oui.

On y reviendra dans le prochain DSI-T. Mais la question qui me turlupine, c'est de savoir si les drones MALE ou "quasi-MALE" (comme le modèle turc exposé ou le Hunter, par exemple*) ne sont pas en train de se faire dépasser à la fois par le haut (un Talarion/Advanced UAV qui me sembait aussi costaud qu'un RQ-4) ou par des plateformes beaucoup plus simples, pilotées et ayant plus souvent une charge utile supérieure, avec une endurance parfois étonnante.

* Je sais, je sais : le Hunter n'est pas un MALE. Mais son endurance (jusque 12 heures) est très raisonnable comparativement aux durées moyennes de vol des MALE US en Afghanistan ou en Irak...

mercredi 24 juin 2009

DSI 50 en preview

Et voilà que s'annonce l'été : les flots bleus pour ceux qui en ont la chance, un peu de temps libre... et peut-être même de la lecture. Ce pour quoi la rédac vous recommande vivement le prochain DSI, qui devrait être en kiosque d'ici le 2-3 juillet.
Sur le vif

La technologie est décidément un sujet complexe – y compris du point de vue de ses effets pervers. Jamais avare de réflexions, parfois dérangeantes mais toujours pertinentes, le général (CR) Claude LE BORGNE nous livre les réflexions dont il avait entretenu les participants au colloque du club Participation & Progrès sur « la technologie en débat(s) », début mai 2009.

Un autre débat à la fois passionnant et complexe touche aux sources du terrorisme, qui dépassent de loin les seules questions liées à l’asymétrie ou, comme on l’entend beaucoup trop souvent, à la pauvreté. Nous avons interrogé à ce sujet la philosophe et psychanalyste Hélène L’HEUILLET, qui vient de publier un ouvrage très intéressant à ce sujet.

Stratégie

À trop entendre parler de « guerre au milieu des populations », on pourrait n’y voir qu’un slogan, à l’instar de ce qu’était devenue la Transformation. Le général Vincent DESPORTES revient sur cette question, montrant que derrière la formule, les réalités stratégiques nous imposent d’adapter nos forces.

Combattre aujourd’hui est devenu difficile. Au premier chef, se pose la question de savoir s’il faut détruire l’adversaire ou « gagner par le compromis » et, plus généralement, de savoir quel est le but d’une guerre, de nos jours. Chef de bataillon, Pascal IANNI remet ainsi en perspectives un certain nombre de données, notamment inhérentes à la place des actions militaires dans les opérations contemporaines.

La géographie, disait Yves Lacoste, « sert d’abord à faire la guerre ». Si la formule manque quelque peu de nuance, toute structure militaire un tant soit peu évoluée ne peut faire l’impasse sur la géographie. Ses méthodes fournissent les cartes mais déterminera également la précision des missiles de croisière. Commandant dans l’armée de l’Air, Emmanuel ALLAIN examine une question abordée par le Livre blanc et, depuis lors, quelque peu passée sous silence.

Armées

Imprégnée de traditions et extrêmement expérimentée, l’armée de terre britannique est revenue, depuis la fin de la guerre froide, à une logique expéditionnaire et ce, dans un environnement budgétaire contraint. Pour autant, elle reste une formidable force de combat. Philippe LANGLOIT et Jean-Jacques MERCIER examinent pour nous ses évolutions et les défis auxquels elle fait face.

Engagées en Afghanistan depuis 2001, les forces terrestres britanniques ont mené un travail considérable et sont à présent engagées dans le sud, conduisant un grand nombre d’opérations. Emmanuel VIVENOT fait le point. Par ailleurs, Philippe LANGLOIT revient, dans son traditionnel tableau de bord, sur l’équipement de la British Army.

Unités

Forces spéciales de la Marine nationale, les Commandos-marine sont des unités aussi prestigieuses que rigoureuses et… occupées. Véronique SARTINI s’est rendue à Lorient et a suivi plusieurs de leurs exercices. Elle nous dresse le portrait d’unités en évolution constante et a également interviewé le contre-amiral Marin GILLIER, commandant la Force.
Technologie

Depuis 2003, les IED (Improvised Explosive Device) ou EEI (Engins Explosifs Improvisés) font « la une » de l’actualité militaire. La menace est complexe et protéiforme et de nombreux types de contre-mesures lui sont appliquées, d’où l’expérience de la guerre froide et de l’utilisation des mines antichars n’est pas absente. Joseph HENROTIN et Stéphane FERRARD font le point sur les problèmes posés mais aussi… les solutions qui ont été trouvées.

mardi 23 juin 2009

Nouvelles publications de l'ISC

Je suis actuellement en train d emettre à jour les tables des matières des derniers ouvrages parus dans le cadre de l'ISC (certes, il était temps ;o). Ne manquez pas de jeter un oeil dessus, dans la mesure où à chaque ouvrage présenté correspond l'un ou l'autre texte mis en libre accès.
Au programme :

Michel Grintchenko, L'opération Atlante. Les dernières illusions de la France en Indochine, 2008

Guilio Douhet, La maîtrise de l'air, 2007

Edward Luttwak, La grande stratégie de l'empire romain (2ème édition), 2009

Laure Bardiès et Martin Motte (Dir.), De la Guerre ? Clausewitz et la pensée stratégique contemporaine, 2008

Hervé Coutau-Bégarie, L'océan globalisé. Géopolitique des mers au 21ème siècle, 2007

D'autres seront injectées au rythme d'une par jour. Bonne lecture !

Qui (n'est pas) post-humaniste ?

Réponse - ou piste de réponse, plus exactement - sur l'excellent schizodoxe. Je sort un peu d'un article sur la piraterie pour le prochain DSI-T (fonctionner aléatoirement fait du bien quelque fois) et j'en profite pour revenir à l'un de mes dadas favoris.

L'excellent Rémi Sussan avait produit il y a quelque temps un ouvrage absolument fascinant sur la relation entre contre-culture, post-humain (voire post-humanisme) et technologies diverses et variées. Je conseille à tous sa lecture (je pense en avoir fait une critique dans l'un des premiers DSI).

La question posée, à cet égard, renvoie non seulement à l'évolution et à l'adaptation mais est également d'une extrême valeur stratégique : que sera, dans 50 ans, la notion d'efficacité ? Comment va-t'on comprendre et modifier nos cerveaux - des gens y pensent très sérieusement ? Quel sera notre rapport à la technique, nous qui sommes déjà entourés de fictions où les robots sont au coeur des intrigues, suscitant peur ou attendrissement ?

Pas très militaire me direz-vous ? Si, si, regardez bien : le FELIN bardé de son électronique n'est conçu que pour une seule chose, in fine : être plus efficace, démultiplier l'humain et ses sens... Une révolution sourde est en marche et elle n'est pas dans tel radar ou tel système C4ISR - ce sont des épiphénomènes, tout au plus révélateurs que "quelque chose se passe".

Cette révolution est dans une combinaison bien plus large, d'une amplitude qu'on ne soupçonne même pas encore. Surtout, elle n'est pas technique au sens strict. Elle se joue dans l'interaction entre le technique et l'humain... qui pourrait bien déraper si, emporté par son élan, il ne restait pas concentré sur son essence.

Interview au "Soir" : OMLT belge et embuscade en Afghanistan

J'ai eu l'occasion de donner au Soir du 19/6 une interview sur la question de la réaction belge au fait qu'une OMLT soit tombée en embuscade en Afghanistan :

Afghanistan : « Je suis étonné par... l'étonnement des élus »

Vous avez eu connaissance des embuscades afghanes dans lesquelles des instructeurs belges sont tombés jeudi de la semaine passée et ce lundi. Était-ce prévisible ?

Oui, puisqu'un certain nombre d'expériences nous étaient revenues d'autres armées engagées dans des opérations OMLT (NDLR : entraînement et mentoring). Le but de ces OMLT n'est pas de mener elles-mêmes ces engagements mais de former au plus vite l'armée afghane. Et quand elles emmènent cette armée sur le terrain, ce genre de chose peut se produire. Ne pas avoir d'embuscade aurait été très étonnant.

Il n'y a pas eu ici de blessé sérieux. Les autres armées ont-elles eu autant de chance ?

Les armées Otan sont, de manière générale, des armées bien formées, bien entraînées. Rappelons que, malgré la déferlante technologique dont on nous abreuve, le premier élément dans l'art de la guerre est humain : l'entraînement. Pas mal d'armées de l'Otan ont eu peur pour la Belgique, où les budgets ont été constamment réduits : en termes de pourcentage du budget consacré à l'armement et l'équipement, la Belgique est dernière de l'Otan (même le Luxembourg fait mieux que la Belgique). Mais l'armée belge s'en sort très bien car c'est une armée très professionnelle qui, même sous pression budgétaire, s'est débrouillée pour que ses unités demeurent opérationnelles et assument ce type d'engagement sans problème.
Dans le cas de l'embuscade d'Uzbin, par exemple, les Français ont perdu dix hommes. Mais on se rend compte aujourd'hui que les Français envoyés sur place étaient mal formés. D'où l'importance de l'entraînement – et pour les OMLT, des entraîneurs eux-mêmes bien entraînés.

D'un point de vue politique, il a été affirmé que le ministre belge de la Défense aurait sous-estimé le risque. A-t-on sous-communiqué, mal communiqué ? Ou sur-communiqué ?

La Belgique a communiqué comme dans les autres pays. Mais dans des pays plus vastes (France, Allemagne) ou même dans d'autres pays d'importance égale (Suède), le monde politique et les parlementaires sont bien mieux informés – culturellement – en terme de défense. Une plus grande attention est portée à ces questions. En Belgique, je suis étonné par… l'étonnement du législatif et par une polémique qui n'a pas lieu d'être : on connaît les risques liés aux OMLT, il existe une abondante littérature tout à fait accessible.

Je trouve même que le gouvernement belge communique maintenant avec plus de clarté qu'auparavant. Ce sont plutôt les parlementaires ou médias qui ne parviennent pas toujours à comprendre, à « lire » ce qui est dit. Les affaires de défense n'intéressent pas et, lorsque ce genre d'embuscade se produit, un étonnement se manifeste. Il est peut-être aussi vrai que les bonnes questions ne sont pas posées…

Le ministre affirme au « Soir » : les OMLT seront toujours en 2e ou 3e ligne, jamais en 1e ligne. Est-ce que cela a un sens quand on parle d'OMLT ?

Oui. Si une colonne se déplace, les Afghans vont être en tête, et les Belges en n°2. Mais la notion même de première et deuxième ligne n'a plus beaucoup de signification. Dans des conflits contre-insurrectionnels comme l'Afghanistan, il n'y a plus d'« arrière ». Des zones qu'on pense sécurisées ne le sont pas, etc. Donc lorsque le ministre dit que les Belges seront en deuxième ligne, c'est vrai d'un point de vue micro-tactique, mais on évolue sur un terrain ouvert et les attaques peuvent venir d'un peu n'importe où.

Si je suis ce raisonnement, même le fait d'être sur une position réputée très protégée – comme l'aéroport de Kaboul – pourrait être dangereux.

Évidemment. Aucun endroit en Afghanistan n'est réellement sûr. Kunduz, comparativement au Sud, est plus calme : c'est politiquement vrai. Mais stratégiquement, c'est relatif. Le calme de Kunduz n'empêche la recrudescence des accrochages. Par essence, la guerre est dynamique : la nouvelle logique – plus de front, plus d'arrière – signifie que la guerre est plus fluide que par le passé. La guerre est un duel, disait Clausewitz : nécessairement dynamique.

Le défaut de culture stratégique – que vous reprochez à nos élus – se marque-t-il aussi dans la société en général ?

Effectivement. Il y a beaucoup de réflexion stratégique en Belgique, mais qui percole peu. La réflexion stratégique belge s'opère d'abord au sein des militaires. Je donne parfois cours aux étudiants de 3e cycle (de futurs majors ou lieutenants-colonels) et là, on réfléchit beaucoup, ils posent des questions très mûres. Ce sont des gens qui lisent beaucoup : on assiste à l'émergence d'une génération d'officiers académiques, des officiers qui, de plus en plus, font des doctorats. Il y a un vrai bouillonnement, même si en Belgique les officiers « tournent à fond » et en unité n'ont pas trop le temps de lire. Puis il existe une recherche académique, qui est un petit peu plus folklorique : il n'y a pas de master en études stratégiques, comme il peut y en avoir aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, où on met ce genre d'études sur le même pied que les relations internationales ou l'histoire de l'art.

Chez nous, rien ?

Cela repose sur une série d'individualités : André Dumoulin et Alain De Neve au départ de l'École royale militaire, quelques-uns à l'UCL, à l'ULB…

Est-ce que cela signifie que le niveau exécutif, lui aussi, a peu de ressources stratégiques ? Ou est-ce que l'armée et l'école royale militaire l'alimentent à suffisance ?

Pas de problème en ce qui concerne la production militaire : c'est un débat très ouvert au niveau intellectuel, avec des débats inimaginables il y a dix ans d'ici. Mais au niveau des « think tanks », c'est plutôt de la consultance que de la recherche, avec une certaine confusion militante. Si l'option est de dire d'emblée « On ne va pas en Afghanistan », alors évidemment on ne sait plus aider un gouvernement qui, sur le terrain, est confronté à des problèmes précis. Pas de véritable recherche, donc pas de véritable information du politique.

Où situez-vous le trauma du Rwanda ? Quel est encore son impact aujourd'hui ?

Il y a en Belgique une sociologie particulière à l'égard de l'usage de la force. Le premier grand choc est celui de la 1e guerre mondiale, avec un pacifisme assumé de la part des Flamands. C'est la toile de fond sur laquelle s'est conceptualisée la notion de défense. L'autre choc, c'est le Rwanda : on y va avec les meilleures intentions, on ne parvient pas à anticiper le problème – les services de renseignements l'avaient anticipé, pas le politique – et se développe un abcès qui ne sera jamais clarifié. Sur le registre : on ne doit plus jamais perdre un homme (dans ce cas, il faut dissoudre instantanément l'armée et réinjecter l'argent ailleurs), il ne faut plus s'engager que dans les conflits essentiels, etc. Le problème de cette posture est qu'elle est isolationniste, et que, dans le cadre Otan ou autre, la Belgique, pays « moyen » (et non pas « petit » comme la Lituanie, etc.), doit bien assumer sa participation à la sécurité collective.

Note de JH sur Uzbin : dans l'interview, j'avais parlé de formation non optimale et des pépins d'équipement. Maintenant, c'est une interview : ce que vous venez de lire est le condensé de 30 minutes de discussion... forcément, c'est synthétique...