jeudi 27 novembre 2008

Belgique : vers la résilience ?

La bataille fut rude : 5 émissions TV, 3 ou 4 opinions dans la presse quotidienne, une rencontre avec une ministre de la justice pour le moins peu emballée par le concept, une note de 40 pages et quelques conférences plus tard (et là, je ne parle pas encore du travail de Gino Verleye ni d'une série d'officiers et d'experts ralliés à la cause) et... on dirait bien que l'objectif est atteint : la notion de résilience semble être prise en compte par le ministère belge de l'intérieur.

Dans sa note de politique générale, déposée le 12 novembre, le ministre Dewael (qui, au cours d'une question parlementaire avait indiqué que le concept ne l'intéressait pas - on comprend mieux pourquoi le concept n'est pas nommément cité dans la note) semble avoir écouté ses experts.

Non seulement la communication de crise va être retravaillée de fond en comble (formation des fonctionnaires locaux, planification d'urgence, centrales d'information, utilisation des académiques, etc.) mais, au surplus et bonus, la protection des infrastructures critiques du pays revient au devant d'une scène qu'elle n'avait jamais vraiment abordé. La note est à lire ici (jetez, en particulier, un oeil à partir de la page 21) : on sort de l'âge de pierre de la gestion de crise.

Tout, cependant, n'est pas parfait : la communication est comprise comme "de crise" alors que la menace est permanente et la perception de la population toujours aussi problématique. Simple exemple, en 2 jours de temps, nous avons eu affaire à une vidéo menaçant la Belgique d'attaques si elle ne retirait pas ses F-16 d'Afghanistan, à une évacuation de la Banque nationale pour cause de bocal contenant un liquide suspect et à une opération contre-terroriste dans le cadre des suites de l'affaire Belliraj.

Peu ou prou, cette actualité aide certes à forger une forme élémentaire de résilience par un retour à des réalités que l'on a passé trop de temps à nier, risquant alors de démultiplier l'effet de surprise. Cependant, face à une population mal formée à ce type de problèmes, sans accompagnement informationnel, cette actualité pourrait être contreproductive. Mais les travaux de Gino sont clairs : qu'un seul attentat touche le pays et ce dernier basculerait dans une crise de légitimité sans précédent dont les conséquences pourraient nous renvoyer au "modèle néerlandais", lorsque l'assassinat de T. Van Gogh avait conduit à 166 incidents majeurs. Communiquer, dans ces conditions, n'est plus un luxe...

DSI n°43, décembre 2008, le sommaire !


Sommaire DSI 43, décembre 2008
Editorial
Nominations et agenda
Les contrats du mois
Veilles contre-terroristes
Veilles stratégiques
La chronique de Carl von C. : L’ère du flop power

Actualité

Euronaval : des nouveautés de taille
Par la rédaction

France / OTAN. Où en sont les préparations ?
Par Véronique Sartini, journaliste

Stratégie

La géostratégie des forces sous-marines chinoise
Entretien avec Toshi Yoshihara, Professeur au strategy and policy Department de l’US Naval War College.

Les conceptions chinoises de la guerre sous-marine
Entretien avec le Professeur William S. Murray, Warfare Analysis and Research Department, US Naval War College.

Principes du commandement concernant les Effects-Based Operations
Par James N. Mattis, général commandant l’US Joint Forces Command (USJFCOM).

La technologie militaire en question : sortir de la technologisation ?
Entretien avec Joseph Henrotin, auteur de La technologie militaire en question. Le cas américain (Coll. « Stratégie et doctrines », Economica, Paris, 2008, 300 p.)

Armées

Les forces terrestres thaïlandaises, un équilibre qui reste à trouver
Par Jérôme Palmade, journaliste spécialiste des questions de défense

Marine thaïlandaise : les défis d’une force au cœur du Maelström
Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI

Tableau de bord : La Kong Thab Akat Thai/force aérienne thaïlandaise
Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI

Unités

L’« académie » du 2000. La BA 115 d’Orange
Par Véronique Sartini, journaliste

Encadré : L’historique de l’escadron 2/5 Ile de France

Encadré : L’escadron en bref

Carte : La chasse en France

« Orange présente des capacités d’accueil extraordinaires »
Entretien avec le colonel Jean-Louis Cerisier, commandant la base aérienne 115 d’Orange

Technologie & Armement

Parachutistes russes : l’illusion de la force ?
Par Joseph Henrotin, chargé de recherche au CAPRI

Le BMD-4, un blindé parachutiste
Par Stéphane Ferrard, journaliste spécialiste des questions de défense

Les forces aéroportées russes s’allègent. Des armes d’appui emportées à dos d’homme
Par Jérôme Palmade, journaliste spécialiste des questions de défense

Fiches techniques

Chasseur de char 2S25 Sprut-SD /Les chasseurs de chars, solution à la mobilité stratégique ?

Illiouchin Il-76 Candid/ L’Il-76, plateforme polyvalente de la VVS

Porte-hélicoptères des classes Shirane et Haruna/ La course japonaise à l’aéronautique embarquée

Critiques de lecture

Drones, mystérieux robots volants : les yeux et le feu du XXIe siècle de Marc Grozel et Geneviève Moulard

Relire Foch au XXIème siècle de André Martel

Deciding in the dark de Vincent Desportes

mardi 25 novembre 2008

L'art de la guerre : Deleuze, Guattari, Debord et Tsahal - Petit clin d'oeil à Laurent H ;o)

Par Eyal Weizman.

Extraits :
"Les Forces de Défense Israeliennes ont été fortement influencées par la philosophie contemporaine, mettant en évidence le fait qu'il existe un terrain d'entente avec des textes théoriques retenus comme essentiels par les académies militaires et par des écoles d'architecture…"

"Les théoriciens militaires contemporains s'activent à re-conceptualiser le champ urbain. Ce qui est en jeu, ce sont les concepts fondamentaux, les prémisses et les principes qui gouvernent les tactiques et les stratégies militaires. Le vaste champ intellectuel, que le géographe Stephen Graham a appelé un “monde de l'ombre” international des centres d'entraînement et des instituts de recherche urbaine militaires qui ont été établis pour repenser les actions militaires dans les villes, pourrait être assimilé au cadre ('matrix') international des plus grandes académies d'architecture.

Sauf que, selon le théoricien urbaniste Simon Marvin, le 'monde de l'ombre' architectural-militaire produit en fait des programmes de recherche urbaine plus fouillés et plus largement financés que tous ces programmes universitaires réunis, tandis qu'il suit les recherches urbaines d'avant-garde conduites dans les écoles d'architectures, surtout en ce qui concerne les villes du Tiers monde et de l'Afrique.

Il existe un terrain commun aux textes théoriques considérés comme essentiels par les académies militaires et par les écoles d'architecture. Dans les listes de livres à lire des institutions militaires d'aujourd'hui, on trouve des ouvrages tournant autour de 1968 (en particulier des écrits de Deleuze, Guattari et Debord), aussi bien que des textes plus récents sur l'urbanisme, la psychologie, la cybernétique, la théorie post coloniale et post structuraliste.

Si, comme l'affirment certains auteurs, l'espace critique s'est trouvé considérablement rétréci dans la culture capitaliste de la fin du XXième siècle, il semble qu'il a trouvé un nouveau terrain d'expansion chez les militaires. J'ai interviewé Kokhavi, le commandant de la Brigade de Parachutistes, qui, à 42 ans, est considéré comme le plus prometteur des jeunes officiers des FDI (c'est lui qui a commandé l'évacuation des colonies de la bande de Gaza). Comme beaucoup de jeunes officiers des FDI, il avait pris le temps d'acquérir un diplôme d'université. Bien qu'il ait d'abord choisi d'étudier l'architecture, il a en fait fini par obtenir une licence de philosophie de l'université hébraïque. Il m'a expliqué le principe qui a gouverné la bataille de Naplouse, qui m'intéressait, non pas tant par la description de l'attaque elle-même, que par la façon dont il en concevait l'articulation. Il m'a dit : “Cet espace que vous regardez, cette pièce que vous regardez, ce n'est rien que votre propre interprétation. [ … ] Le problème est : comment vous considérez cette ruelle ? […] Nous avons considéré la ruelle comme un endroit à ne pas parcourir et la porte comme un endroit à ne pas franchir, et la fenêtre comme un endroit par lequel il ne faut pas regarder, parce qu'une arme peut nous attendre dans la ruelle, et un piège (“booby-trap') peut-être commandé par la porte. Parce que l'ennemi interprète l'espace d'une manière classique, traditionnelle et je me refuse à suivre son interprétation et à tomber dans ses pièges. […] Je veux le surprendre ! Voilà l'essence de la guerre. Je dois gagner […] Voilà : j'ai choisi la méthodologie qui me fait traverser les murs… Comme un ver qui avance en mangeant ce qu'il trouve sur son chemin, apparaissant à certains points puis disparaissant. […] Je dis à mes hommes : “Mes amis ! […] si jusqu'à aujourd'hui vous aviez l'habitude de suivre les routes et les chemins, n'y pensez plus ! Désormais, nous allons traverser les murs !”" (…)

"Naveh, un Brigadier-General à la retraite, dirige l'Institut Opérationnel de Recherche Théorique, qui prépare des officiers des FDI et autres militaires, en 'théorie opérationnelle' (…). Il a résumé ainsi la mission de l'institut, fondé en 1996 : “nous sommes comme l'ordre des jésuites. Nous essayons d'enseigner et d'entraîner les soldats à penser. […] Nous lisons Christopher Alexander, vous vous rendez compte ? ; nous lisons John Forester, ainsi que d'autres architectes. Nous sommes en train de lire Gregory Bateson ; et Clifford Geertz. (…) Au cours d'une conférence, Naveh a montré un diagramme qui ressemblait à un 'carré d'opposition' qui relie un ensemble de relations logiques de propositions militaires à des actions de guérilla.

Avec des noms comme 'Différence et répétition', 'les Dialectiques du structurant et de la structure', 'Objets rivaux sans formes', 'Manoeuvre fractale', 'Vitesse contre rythme', 'la Machine de guerre wahabite', 'Anarchistes post-modernes' et 'Terroristes nomades', ils font souvent référence aux travaux de Deleuze et Guattari. Les machines de guerre, suivant les philosophes, sont polymorphes ; des organisations diffuses caractérisées par leur potentiel de polymorphisme, faites de petits groupes qui se divisent ou se rassemblent, suivant la contingence et les circonstances. (Deleuze et Guattari avaient bien compris que l'état peut volontairement se tranformer en machine de guerre ; de la même façon, dans leur discussion de 'l'espace lisse', il est compris que cette conception peut porter à des formes de domination.)

J'ai demandé à Naveh pourquoi Deleuze et Guattari étaient si populaires dans l'armée israelienne. Il a répondu que “plusieurs concepts de Mille plateaux' nous sont devenus très utiles […], en nous permettant d'expliquer certaines situations actuelles. Cela a problématisé nos propres paradigmes. Des plus importantes s'est révélée leur distinction entre espaces “lisses” et espaces “striés” dans le sens ou ceux-ci sont cloisonnés, enfermés par des clôtures, des murs, des fossés, des barrages de route etc.”.

Quand je lui ai demandé si passer à travers les murs en faisait partie, il m'a expliqué que “à Naplouse, les FDI ont compris le combat urbain comme un problème d'espace […] Se déplacer à travers les murs n'est qu'une simple solution mécanique qui associe théorie et pratique”.
Pour bien comprendre les tactiques des DFI de traverser les espaces urbains palestiniens, il faut savoir comment ils interprètent le principe désormais familier “d'essaimage” (swarming) - (…)

L'essaim est emblématique du principe de non-linéarité qui apparaît en termes d'espaces, d'organisations et de temps. Le paradigme traditionnel de manoeuvre, caractéristique de la géométrie simplifiée du type euclidien, est transformé, d'après les militaires, en une géométrie complexe du type fractal. La narrativité du plan de bataille est remplacée par ce que les militaires, en termes foucaultiens, appellent l'approche de la “boite à outils”, suivant laquelle les unités reçoivent les outils dont ils ont besoin pour gérer plusieurs situations et scénarios donnés, mais sans que l'on puisse prédire l'ordre suivant lesquels ils vont se dérouler.

Naveh : “les officiers opératifs et tactiques dépendent les uns des autres et résolvent les problèmes en construisant le cours de la bataille ; (…) l'action devient savoir et le savoir devient action. (…) sans résultat décisif possible, le principal bénéfice de l'opération est dans l'amélioration du système en tant que système”.Ceci peut expliquer, pour l'armée, la fascination exercée par les modèles et les modes opératifs spatiaux et organisationnels avancés par des théoriciens tels que Deleuze et Guattari.

De plus, au moins pour les militaires, la guerre urbaine est l'ultime forme post moderne du conflit. La foi en un plan de bataille logiquement structuré et linéaire disparaît devant la complexité et l'ambiguïté de la réalité urbaine. Les civils deviennent des combattants, et les combattants, des civils. L'identité peut être changée aussi vite que le genre peut être feint : la transformation de femmes en hommes combattants peut prendre le temps qu'il faut à un soldat israelien 'arabisé' ou à un combattant palestinien camouflé de tirer sa mitraillette de dessous sa robe. Pour un combattant palestinien pris dans cette bataille, les israéliens semblent 'venir de partout : de derrière, des côtés, de droite et de gauche. Comment peut-on se battre dans cette situation ? ' "

lundi 24 novembre 2008

Nouveau blog : la plume et le sabre

Vous connaissez peut-être déjà Stent pour avoir lu ses commentaires ici et là. Et bien, je l'ai rencontré à l'EHESS la semaine passée et il m'indiquait qu'il se lancait également dans la blogaventure avec La plume et le sabre.

Un blog bien fourni - adossé sur une tête bien remplie - et des observations tèrs pertinentes, je pense en particulier à ce post sur l'expérience allemande de la guerre hybride durant la campagne de Russie et le processus de démodernisation de la Werhmacht. Très intéressant et à suivre ;o)