vendredi 23 mai 2008

Pourquoi éliminer la composante aéroportée ?

Je m'y attendais : ma position sur la composante aéroportée de la dissuasion suscite des interrogations. J'avais pensé y répondre via un commentaire mais, finalement, autant en faire profiter tout le monde.

En fait, avant d'attaquer les questions d'ordre technique, il faut en revenir à la mère de tous les comportement stratégiques : la politique et, dans le cas qui nous concerne, la possibilité d'un usage en premier de l'arme nucléaire pour lequel l'ASMP-A constituerait une bonne solution. Mais deux arguments s'y opposent :

1) qui accepterait d'être mis au ban des nations pour un emploi en premier du nucléaire, même contre des soldats adverses ? J'avais écrit, en son temps, une histoire stratégique de la guerre froide, parfaitement impubliable (pensez, 1 500 pages écrites serrées...). De telles conceptions de first use avaient un sens, d'ailleurs essentiellement tactique et généralement remis en question au plan stratégique ;

2) quand bien même cette décision serait prise, un M51 suffit. Pourquoi ?

D'abord, parce que la portée de l'engin est nettement plus importante que le tandem ASMP-A/Rafale - ce qui veut dire que le SNLE lanceur est loin, très loin, de toute possibilité de représailles. Le temps que celle-ci soit coordonnée et mise en oeuvre et nous passons l'heure... si les systèmes décisionnels adverses (et je parle plus ici du facteur humain que du facteur technique) en sont encore capables.

Ensuite, parce que rien n'est plus furtif qu'un SNLE, en particulier un Triomphant. Quand bien même sa position serait détectée du fait d'un lancement - ce qui est vraiment très hypothétique -, sa vitesse maximale silencieuse l'éloignerait de toute représailles. Nous parlions d'une heure si tout fonctionne (très) bien. A 7 noeuds, il sera très loin de toute explosion se déroulant dans ses parages, si tant est qu'un adversaire soit en mesure de lancer.

Pour cela, il faudrait, au surplus, qu'il soit en mesure de détecter. Outre les Américains dont on peut gager qu'ils seront prévenus, la Russie aligne des satellites Oko et Prognoz... en très mauvais état. L'autre solution consiste en des radars OTHB. Mais qui n"ont qu'une portée relativement limitée comparativement à celle d'un M51. Tout le monde n'a pas un Jindalee.

Et quand bien même la frappe serait détectée, cela n'est aucunement en soi le signe d'une représaille contre les sous-marins, dont il faut réussir trouver 4 exemplaires pour décapiter la dissuasion française : une tâche titanesque qui n'est à la portée d'aucun Etat. La détection certes une condition nécessaire mais pas suffisante. On pourrait même y ajouter que le M-51 peut nous mettre à l'abri là où le Rafale ou l'ASMP-A sont plus facilement identifiables.

Par ailleurs, les futures TNO sont elles-mêmes "très furtives". Plus, en tout état de cause, qu'un tandem Rafale/ASMPA, bien plus suceptible d'être détecté voire intercepté par des moyens disponibles dans nombre d'Etats. Comparativement, abattre une TNO apparaît comme beaucoup plus problématique.

Venons-en, maintenant, à la question du dosage de la TNO. Outre qu'elle pourra être régulée en puissance (mais, très honnêtement, qui fera, dans le pays visé, la différence entre 100 et 150 Kt ?), sa précision est meilleure que celle du M45. Lorsque l'on joue dans la gamme des Kt, une variation de 100 m dans les ECP n'a que peu d'importance. Plutôt, elle n'a d'importance que dans l'hypothèse où vous lancez une contre-force visant à décapiter les capacités de 1ère frappe adverses.

Mais, que vous employez un ASMP-A ou un M51, la question reste identique : si vous vous lancez dans une telle opération, vous devez décapiter l'ensemble du système adverse de 1ère frappe,, au risque de mettre le doigt dans un engrenage qui verra Paris se vaporiser. Vous viserez donc des cibles moins stratégiques. Une base aérienne ou un port, par exemple. Et là, la différence de 100 m à l'ECP n'en sera plus une vu la charge explosive.

Mais, encore une fois, si vous prenez effectivement la décision de lancer. En substratégique, rien n'est plus improbable : c'était même une des raisons ayant poussé au développement du SCALP et au placement de son emploi sous l'autorité du chef de l'Etat. La manoeuvre de crise était assez clairement perçue comme relevant du niveau conventionnel et n'eclut nullement le nucléaire. Au-delà, l'esprit du temps n'est plus à la bataille atomique tactique, sauf peut-être dans les planifications indiennes et pakistanaise (Cf. Lavoy et Sagan), soit des circonstances extrêmement partculières dans lesquelles nous n'irons d'ailleurs pas nous immiscer "nucléairement".

L'esprit du temps par contre nettement plus à la prolifération stratégique. Et c'est en celà que garder 4 SNLE et les M51 est une excellente chose.

jeudi 22 mai 2008

Sortie de piste d'un Rafale M



Selon la Marine nationale, le jeudi 22 mai 2008 à 10h34 locale, un Rafale de la 12F de l’Aéronautique navale qui venait de prendre la mission de permanence opérationnelle est sorti de la piste ouest de la base aéronavale de Lann-Bihoue (piste 25 en service, en photo, copyright Marine nationale). Le pilote s’est éjecté et a été récupéré conscient pour être évacué sur l’hôpital Bodelio de Lorient où il est placé en observation. L’avion qui est resté dans le périmètre de la base a été sécurisé par les services techniques de la Marine. Les causes de l’événement ne peuvent être établies pour le moment et devront être déterminées par une enquête technique.

Le jour de vérité

Bonjour l'Europe. Avant de me remettre à la guerre biologique, juste quelques lignes histoire de se rappeler que c'est aujourd'hui que le Livre Blanc doit être présenté aux parlementaires français.

Qui, par ailleurs, on déjà fait connaître un certain nombre de points de vue : ils veulent donner la priorité à l'aéromobilité aux aux frégates FREMM, tandis qu'un consensus semble se dégager pour considérer que la numérisation de l'espace de bataille n'est pas une priorité. Ce qui pose donc bon nombre de questions pour l'avenir de l'opération Scorpion, par ailleurs largement abordée dans le prochain hors-série de DSI.

Pour le reste, les grandes lignes du LBDS sont connues : à l'intérieur, emphase sur la protection du territoire (y compris l'inclusion bienvenue de la résilience) ; à l'extérieur, emphase sur le renseignement et diminution du volume des forces. Point sympa, l'appel à un meilleur financement de la R&D. Mais la mesure apparaît comme un contrepoids aux processus de réduction/étalement des commandes : garder les bureaux d'étude ouverts et opérationnels est un moindre mal.

Reste, néanmoins, comme un petit goût d'échec : sursaturer le maillage sécuritaire intérieur ne garantira jamais qu'aucun attentat ne se produira, alors que disposer des instruments d'une manoeuvre de crise offre une plus haute probabilité de succès.

Encore une fois, le repli sur soi - parce que c'est fondamentalement ce qui se prépare - dans les conditions stratégiques actuelles est une mauvaise posture. A travers l'histoire, ce type de défensive s'est toujours montré dépassé... et l'est encore plus dès lors que la France entend toujours jouer un rôle important.

On ne peut séparer les dimensions diplomatiques des militaires (j'ai toujours eu en horreur cette fixation journalistique pour une dichotomie entre "solution politique" et "solution militaire", alors que la "solution militaire" est sans doute la plus politique qui soit !). Or, la résilience nous permettait d'en jouer comme d'un "bouclier" nous permettant de se concentrer sur la "lance", à savoir la défense elle-même.

Au contraire même, la tendance de l'époque est à une meilleure coordination des lignes d'opérations. Irions-nous donc droit dans le mur ? Malheureusement, il y a des chances. Les demis-mesures se sont succédées et les économies n'ont pas nécessairement été réalisées aus bons endroits. Prenons, par exemple, la composante aéroportée de la dissuasion : elle avait une signification certaine dans le jeu sémiotique de la guerre froide. En a-t-elle encore une ? Au risque de fâcher certains, non.

Peu d'Etats sont en mesure de distinguer l'arrivée d'un ASMP-A de celui d'un M-51. Et leur réaction en cas d'explosion d'une charge nucléaire sur leur territoire ne sera pas modulée du fait du vecteur porteur. D'autant plus que nous sommes sensés nous attaquer aux centres décisionnels - qui sont le plus souvent des centres urbains - et qui ne seront donc pas en mesure de décider s'il s'agissait d'un vecteur aéroporté ou balistique. Et de toute façon, en cas de besoin - un show of force, par exemple - rien n'empêche de faire sauter une TNO dans un désert.

En attendant, des avions sont trop souvent mobilisés pour ces missions et l'entretien des armes coûte cher. Dans le même temps, trop peu de missiles de croisière - un véritable outil de manoeuvre de crise - sont disponibles et l'armée de l'Air voit ses effectifs descendus en flamme. Parce que, honnêtement, vous pensez réellement que l'on re-commandera des Rafale après 2020-30, une fois que les Mirage 2000 seront arrivés au terme de leur vie (et dans quel état !) ? Maintenir la chaîne de production opérationnelle va être un vrai casse-tête, d'autant plus que les exportations ne suivent pas.

mardi 20 mai 2008

Grumble, Gargoyle et Growler

Allez, avouez. Franchement. Honnêtement.

Vous aussi, vous êtes aussi perdu que moi lorsqu'il s'agit de vous y retrouver dans la foultitude des désignations de SAM russes ? Carlo Kopp, une excellent analyste australien vient de poster son petit guide perso sur ces engins.

Au revoir, Air Dominance ?

L’Air Force Association, un puissant lobby pro-US Air Force semble avoir radicalement changé de rhétorique. Dans une vidéo postée sur son site, elle indique ainsi que la suprématie aérienne américaine – qui n’a plus été disputée depuis la guerre de Corée – fait face à une situation de crise, le niveau qualitatif comme quantitatif des forces US tendant à s’éroder.

Ainsi, les nouvelles générations de missiles russes – en particulier les SA-21 et SA-22 – ont des enveloppes d’engagement plus importantes et connaissent une véritable prolifération. Dans le domaine du combat aérien, les solutions proposées par la Chine et la Russie – comme le Su-35 – sont considérées comme posant un réel problème.

Peu coûteuses, elles peuvent avoir l’avantage du nombre et elles sont de plus en plus fréquemment équipées de contre-mesures électroniques efficientes, tandis que les missiles air-air voient leurs capacités augmenter rapidement.

Selon l’AFA, il ne faudra ainsi que quelques années avant que le F-35 soit incapable de dominer de tels appareils, alors que la majeure partie des appareils US encore en ligne seront des F-16 et des F-15 non seulement considérés comme déjà dépassés mais aussi comme quantitativement insuffisants.

Par ailleurs, l’AFA met également en garde contre des opérations aériennes combinées qui viseraient à la destruction des réseaux informatiques mais aussi des capacités spatiales américaines.

Si le document s’avère parfois alarmiste à outrance, surestimant un certain nombre de capacités, russes ou chinoises, il n’en demeure pas moins qu’il pourrait bien marquer un tournant dans la rhétorique US, en faveur de systèmes plus simples mais aussi plus nombreux.

Si l’on y discernera un argumentaire – caché – en faveur du F-22, il n’en reste pas moins que l’avantage comparatif des forces aériennes occidentales est immanquablement appelé à s’éroder.

En preview...

Juin 2008 verra une nouvelle édition d'Eurosatory. L'occasion pour nous de revenir in extenso sur les Marines mais aussi sur les hélicoptères de manoeuvre... avec en particulier un très bon article de J-L. Promé sur la problématique induite par le TTH-90.

Vers une réduction de commande des Rafale ?

Selon Les Echos, Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, qui sera présenté aux députés et sénateurs mercredi, préconiserait une réduction importante du nombre d'avions de combat.

Dans le cadre du "format 2015", il était prévu que l'armée de l'Air puisse aligner, à cet horizon, 300 de "type Rafale" (incluant des Mirage 2000 modernisés) et la marine un groupe aéronaval, soit une quarantaine d'appareils. Soit 340 avions au total prêts à décoller pour remplir tous les types de missions. Ce qui supposait un parc total d'environ 400 avions pour pallier les besoins de formation ou de réparation.

Or le Livre blanc, qui s'inscrit dans un horizon de temps de deux lois de programmation militaire, préconise que l'armée de l'Air et l'aéronavale ne disposent plus - en tout et pour tout - que de 300 avions de combat vers 2020 ou 2021...

Doit-on en déduire que le nombre de commandes de Rafale prévues, 294 aujourd'hui, sera fortement revu à la baisse ? Seule certitude, sur les 86 2000D en service, une soixantaine devraient être modernisés, pour étendre leur durée de vie au-delà de 2020.

Ce qui nous laisse comme hypothèse :

- 40 Rafale Marine + 60 2000D + 200 Rafale Air
- 50 Rafale Marine + 60 2000D + 190 Rafale Air
- 60 Rafale Marine + 60 2000D + 180 Rafale Air

Du coup, le calendrier des commandes du Rafale devrait subir d'importants décalages. L'avionneur devrait quand même livrer, in fine, la totalité des Rafale mais il faudra attendre que le dernier Mirage soit retiré du service...

Des F-16 pour la Roumanie

Le Pentagone a informé le Congrès de son intention de vendre à la Roumanie 48 F-16, dans le cadre d'un contrat pouvant atteindre jusqu'à 4,5 milliards de dollars.

Cette vente, menée dans le cadre des Foreign Military Sales, sera composée pour moitié de modèles neufs F-16C/D Block 50/52, et pour moitié d'appareils d'occasion de type F-16C/D Block 25, qui seront modernisés. La vente inclut les moteurs, les radars, kes systèmes de communications, les systèmes de navigation, des systèmes de guerre électronique et de contre-mesures.

La vente signe aussi, sans doute, la mise au rancart des Mig-21 Lancer, modernisés par les Israéliens.

lundi 19 mai 2008

DSI Dossiers et Documents n°1 - Le sommaire


DSI – Dossiers & Documents n°1

Apport des capacités navales dans le système de défense et de sécurité nationales


L’espace maritime – une zone d’intérêts stratégiques

1. Les océans – un rôle central pour les flux commerciaux et d’information
2. Le littoral – concentration de populations, de richesses et de crises
3. Les espaces océaniques – lieu de cohabitation et de confrontation des puissances
4. L’espace maritime français – un espace de souveraineté, des intérêts à protéger

L’apport des capacités navales

1. Dissuader – la force océanique stratégique, pilier principal de notre dissuasion
2. Prévenir – les capacités navales, vigies avancées de notre sécurité
3. Protéger – du plus loin au plus près de nos côtes
4. Intervenir – efficacité et souplesse pour la projection de puissance et de forces
5. Des moyens polyvalents – répondant à de multiples besoins capacitaires de défense et de sécurité

Entretien avec l’amiral Pierre-François Forissier – CEMM

Un socle industriel et technologique indissociable de la cohérence capacitaire
1. Préserver – une base industrielle et technologique nécessaire à l’entretien et la modernisation de capacités navales effectives
2. Un socle industriel – dépassant la simple fourniture d’équipement
3. Une industrie – tournée vers la satisfaction des besoins de la Marine nationale au meilleur prix
4. Un socle industriel – et technologique de qualité

Entretien avec Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS

Bon, allez, juste pour le plaisir !



dimanche 18 mai 2008

"Nous allons vers l'armée italienne"

Voilà ce que vient de me dire un général 3 étoiles français, ce matin.

De facto la parution de plusieurs éléments sur le Livre Blanc (qu'il semble avoir eu en main) laissera plus que sceptique :

- des réductions en pagaille, alors que toutes nos autres armées augmentent le nombre de leur effectif ;

- paradoxalement, la volonté de gagner une place centrale dans le processus d'influence de l'OTAN alors même que le nombre de soldats (re-)devient une variable importante dans l'établissement de cette même influence ;

- des choix technologiques hasardeux alors que les budgets sont évidemment contraints ;

- ultimement, la réduction de notre capacité d'action sur les crises et conflits.

Quelles en sont les raisons ?

- l'obsession sécuritaire, qui conduit à affecter 10 000 hommes à Vigipirate alors que police et Gendarmerie en allignent 240 000. Ces 10 000 sont une paille pour la protection du territoire, ils ne le sont pas pour l'AdT, qui reste le principal effecteur politique dans les opérations ;

- l'incapacité à comprendre le monde contemporain et à retirer des débats stratégiques contemporains des leçons utiles à la structure des forces comme à la définition de leurs missions. La vraie défense du territoire ne s'opère pas en son sein mais loin, très loin. L'Allemagne me semble aussi menaçante que l'Estonie ou le Lesotho. Les vrais problèmes qui risquent de nous impacter un jour ne sont pas ici mais ailleurs. De ce point de vue, nous sommes vraissemblablement dans une situation comparable à celle des années 30, alors que les débats étaient vifs mais qu'aucune leçon ne sera tirée, les forces restant accrochées à des modèles qui seront anéantis sur le terrain ;

- la confusion entre stratégie industrielle et stratégie des moyens. Il paraît évident que maîtriser certains domaines technologiques en toute souveraineté est plus qu'utile. Mais faut-il tous les maîtriser ? Manifestement et au prix qu'ils font payer à un budget encore une fois contraint, non. L'exemple suédois est éclairant : à force de neutralité et de pression de l'industrie de défense, certains programmes devront être annulés et... les forces largement réduites ;

- des demis-choix (en matière de positionnement des unités, par exemple), trop influencés par une politique intérieure dont nos adversaires potentiels n'ont pas grand chose à faire ;

- sans doute, l'ancrage excessif dans des modèles dépassés continuant à nous hypnotiser : comme la puissance, l'indépendance est une question d'attitude, non de moyens que l'on parvient, de toute façon à se procurer. L'admiration pour Colbert ou de Gaulle est tout à fait légitime. Mais elle est historiquement très spécifique. Doit-elle imposer des postures qui, in fine, vont parvenir à réduire cette indépendance ?