dimanche 15 juin 2008

A bien y réfléchir...

Revenons quelques instants sur les propositions de Sarkozy dont rendaient compte le Spiegel mais aussi sur le contexte du LBDSN, le non irlandais et tous les choix y afférent. Le contexte, d'abord : à 1,69% dédié à la défense nous ne pouvons plus nous offrir la sécurité de nos rêves. Le jeu de mot est volontaire : le concept de "sécurité nationale" - ses connotations et ses non-dits, vu que son pérmètre n'est guère précisé - diffère très largement de l'américain, essentiellement militaire. Certes, l'insularité américaine y est pour quelque chose (et la France est peut-être en train de délaisser son identité maritime) mais regardons les choses en face.

On va sans doute nous indiquer qu'entre Gendarmerie, services de pompiers, police et armées, nous sommes à plus de 3% du PIB et qu'au final "nous nous préoccupons de la sécurité des citoyens" - mission régalienne entre toute, structurante même de l'idée d'Etat-nation et du contrat social le fondant. D'un autre côté, police et Gendarmerie sont non seulement intimement liées mais sont également des forces finalement extrêmement spécialisées. Envisage-t-on de les déployer massivement en OPEX ? Non, évidemment. Elles sont naturellement le fruit de conceptions de sécurité intérieure adaptées à un contexte particulier. C’est trivial mais il convient de le rappeler… parce que le système de production politique français tend à l’oublier.

Or, la « menace » (identifiables) et les « risques » (diffus) ne réfèrent plus à des « contextes particuliers », des portions spécifiquement établies du spectre des opérations sécuritaires. C’est de polyvalence dont nous avons alors besoin… au moment même où la spécialisation est en soi une vulnérabilité. La spécialisation signifie un positionnement de ses intentions à tout adversaire potentiel. Qui ne manquera certainement pas de contourner pour mieux frapper. Or, voilà : à trop se replier sur soi, l’on se replie aussi sur une vision de l’action qui est aussi spécialisée. Le grand large – celui de la mondialisation que le LBDSN entend précisément prendre en compte – est celui du non-dit, du diffus et du couple la polyvalence de l’action/adaptation.

Le soi est connu. L’Autre ne l’est pas. Et le sera de moins en moins – nonobstant toutes les fonctions « anticipations/prospective » du monde -, à suivre les évolutions d’une pensée du repli. La tension qui en résulte est alors trop forte : le risque de dissonance sécuritaire est bien réel. D’où les appels aux frères européens. Or, que sont ceux-ci ? D’une part, des puissances au mieux régionales et non globales (à l’exception d’une Grande-Bretagne dont les très peu concrètes affinités européennes la disqualifient du schéma initié). D’autre part, des puissances qui comptent précisément sur une puissance globale telle que la France pour se projeter dans le global.

C’est là que l’idée d’une coopération européenne dans le domaine naval est pervertie : on ne peut la penser que lorsqu’elle est le résultat d’une maturation stratégique impliquant un couplage stratégie des moyens/stratégie opérationnelle fort. Deux choses desquelles la France s’éloigne. Autrement dit, elle n’est plus l’exemple, le « sherpa stratégique » de l’Europe. Pour caricaturer grossièrement, elle vient mendier sa sécurité extérieure au motif de son repli sur l’intérieur. A ce jeu, on comprendra d’autant mieux les refus européens. C’est tellement évident (quoique…) mais l’on ne peut penser et bâtir la puissance que lorsque l’on est soi-même dans une prédisposition de recherche de la puissance.

C’est là qu’intervient le « non » irlandais. Un non idiot et imbécile en ce qu’il est plus souvent le reflet de mensonges (la perte de neutralité de l’Irlande qui entrerait dans une vision du monde militariste ; des manipulations grossières de chiffres, j’en passe et des meilleures) que d’une réalité objective. La faute en incombe autant aux Irlandais qu’à l’Union, incapable de procéder au moindre exercice de clarification d’un texte passablement indigeste. La faute nous en incombe aussi. Ainsi je voyais cette brave dame indiquer sur un plateau de France 2 – sans qu’un journaliste ne soit capable de la contredire – que Lisbonne était identique à la Constitution… elle-même avouant ne pas l’avoir lu !

Nous perdons peu à peu le contact avec l’Europe comme nous perdons peu à peu le contact avec les réalités stratégiques – et je suis profondément persuadé que les deux sont liés -, aboutissant à trouver en la « sécurité nationale » des conceptions nombrilistes qui ne sont finalement que le reflet, à plus grande échelle évidemment, des peurs irlandaises. En sortir implique sans doute deux choses. Premièrement, en revenir au global : si l’Europe fait peur, c’est aussi parce qu’elle, aussi bien que ses membres ne font plus rêver. Afin d’y arriver, il faut éviter de demander aux autres d’assurer notre sécurité sous prétexte d’assurer la sécurité commune. Apprenons à être cohérents : on ne peut prétendre être un maillon fort de l’Europe en indiquant, au moment d’assumer en achetant des matériels et en réformant les armées, que tous les « grands », finalement, son aussi des « petits ».

D’autre part, nous devrions abandonner définitivement ces pratiques de « grands bons en avant », qu’il s’agisse d’élargissements massifs – la pire catastrophe qui soit arrivée à l’Union… mais auquel tous les Etats ont donné leur assentiment – ou de traités qui ne le sont pas moins. L’ensemble horrifie par sa complexité aussi bien interne que par ses implications. Procédons par de petits pas : c’est au demeurant ce qui a été fait pour l’AED, prévue dans la Constitution, par exemple. La simplicité rassure. Mais, plus identifiable, elle est aussi un facteur structurant des identités trop vite apeurées par masse de mesures a priori éloignées des préoccupations de chacun.

5 commentaires:

Michel Goutaudier a dit…

Je ne crois pas que l'on puisse dire que le non irlandais soit une action imbécile. Certe les manipulations, la peur aussi sont des raisons ayant motivé ce refus. Mais quel parti politique aujourd'hui ne pratique pas la démagogie pour obtenir le soutien des électeurs?
Sur le fond il me semble que le refus des Irlandais (comme celui de la France et des Pays-Bas en 2005) correspond à un sentiment très profond de lassitude et de dégout à l'encontre de nos représentants élus. On nous dit que les peuples ne comprennent pas l'Europe et qu'il faut faire plus de pédagogie. Soit. Mais il faut aussi supposer que le projet européen tel qu'il est porté actuellement par les politiques nationales et par l'Europe en tant qu'institution ne répond pas aux attentes des peuples et que ceux-ci souhaitent que l'on tienne un peu plus compte de leur désir d'une europe plus humaine et moins technocratique dans laquelle les décisions prise par les institutions communautaires seraient plus respectueuses ds tendances et des particularités nationales. Une Europe qui s'attacherait à faire réellement respecter le nom européen sur la scène internationale et pas seulement à faire quelque chose pour le plaisir d'agir comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. Une Europe qui s'attaquerait aux problèmes essentiels de sécurité, d'économie, par des politiques responsables (c'est à dire en mesure de rendre des comptes devant les peuples qui composent l'UE mais aussi responsables en ce qu'elles ne nous lanceraient pas dans des aventures extérieures mal évaluées et mal considérées (va t'on réellement servir à quelque chose au Darfour où y allons nous pour marquer le coup?, que faisons nous au Kosovo et dans quel but avec quelle légitimité internationale et juridique...).
Alors plus qu'une réaction épidermique je crois qu'il faut y voir le rejet d'une Europe déshumanisée et devenue par trop envahissante; d'une Europe qui se mèle de la fermentation des fromages ou de la taille des cages de poule...

Anonyme a dit…

Le problème est que nous sommes dans un équilibre flou entre deux Nations (la France et l'Europe) qui n'arrivent plus pour l'une, pas encore pour l'autre, à s'incarner (même chose pour nos voisins).
Un Bismarck aurait su quoi faire...quoique faute d'ennemis assez menaçants (ou assez visibles) difficile de mobiliser le peuple.
En tout cas un peu de cynisme à l'américaine ne nous ferait pas de mal, et il y a de la marge.

Anonyme a dit…

Oui, tout à fait, brillante analyse. Bravo Joseph.
O Kempf

Anonyme a dit…

Le non Irlandais n'était pas une action imbécile mais une lueur d'espoir.
L'Europe est a reconstruire et on ne peut la faire avec les institutions actuelles et les incompétents de Bruxelles.

Quand à la France, elle a constaté son impuissance construite depuis 15 ans par une politique et une gestion de la défense aberrante en contradiction avec le message qu'elle voulait promouvoir.
Mais quand la réflexion est confiée a des diplomates imbéciles et à coté de leur pompes issus de Science Po, en France et à Bruxelles....

Anonyme a dit…

Daccord avec JH : c'est imbécile en fonction du fait que les gens répondent à des questions qui ne leurs sont pas posées et ne répondent pas à la question qu'on leur pose. C'est d'autant plus imbécile que la neutralité irlandaise ne peut être efficiente qu'à l'ombre de la sécurité des autres...