jeudi 21 août 2008

Gagner la bataille de la légitimité intérieure

L'un des éléments sans doute les plus prégnants des débats ayant suivi la mort des 10 soldats français réside dans le manque de compréhension de la population à l'égard de la mission qui leur était confiée. De facto, la pauvreté de l'information généraliste en matière stratégique a conduit à une forme de suivisme à l'égard de communiqués de l'OTAN, qui répondaient à un agenda politique propre. A savoir, mettre en avant les missions de reconstruction - mission oh combien consensuelle - pour tenter de rassembler le maximum de troupes d'un maximum d'Etats.

Or, depuis 2001-2002, la situation a considérablement évolué. L'adversaire s'est regroupé, a gagné en légitimité, a connu une montée en puissance en termes d'effectifs comme de puissance de feu et s'est lancé dans des opérations de plus en plus complexes. Rien de bien neuf là-dedans. Mais, alors que le remarquable travail effectué notamment par le CDEF a bien mis en évidence la nécessité de gagner en légitimité par rapport aux populations locales, sans doute n'avons nous pas, au plan politique cette fois, compris la nécessité de gagner également en légitimité auprès de nos populations. C'était, au demeurant, une dimension mise en évidence par Vincent Desportes dans La guerre probable.

De fait, la théorie stratégique enseigne que la vulnérabilité au "zéro mort" est plus importante lorsque les intérêts nationaux sont perçus comme moins importants. Depuis le 11 septembre, les Américains auparavant très vulnérables au moindre mort ne le sont plus guère : l'intérêt national est parfaitement compris. Mais il le reste mal dans le cas européen (j'insiste, tant des débats similaires à ceux actuellement en cours en France le sont aussi ailleurs). La phrase du LBDSN selon laquelle il faut se préparer à subir des pertes, si elle est de bon sens, apparaît donc comme finalement assez vaine, ne montrant guère comment s'y préparer. La résilience est l'une des pistes à mettre en oeuvre (JDM nous le rappelle à bon escient - peut-être a-t-il lu mon article sur le sujet dans le DSI 37) mais son coeur est la politique d'information - libre, sans manipulations d'aucune sorte et assumant les éventuels débats.

Mais l'acception qui est donnée par le LBDSN à la résilience est par trop restrictive. Elle ne prend notamment en compte les aspects liés à l'information ni à la formation (cf. DSI 39). Or, il est ici question de l'incapacité des politiques, des journalistes ou des chercheurs à mettre en évidence la nécessité de s'engager dans ce qui n'est pas une "guerre contre le terrorisme" (ce terme nous aura décidément causé beaucoup de tort) mais bien une opération de stabilisation d'une zone géopolitique sensible pour une foultitude de raisons qu'il conviendrait enfin d'expliquer correctement. De ce point de vue, on est en droit de se demander si nous n'avons pas perdu la bataille de la légitimité intérieure. Autant de points sur lesquels j'aurais l'occasion de revenir cet après-midi sur France-Info.

10 commentaires:

Welf a dit…

Quelque part, et même s’il faut se méfier des causalités uniques, il existe un « cercle vicieux du refus des pertes », auto entretenu par une certaine autocensure médiatique : les opinions d’Europe occidentale sont perçues comme antimilitaristes ou en tous cas peu intéressées par ces sujets. Aussi ne leur montre-on que des missions de reconstruction et de « service public », et des militaires que l’on montre de manière récurrence occupés à des taches bien loin de cette spécificité militaire qui reste l’usage délibéré et rationnel de la violence et l’exposition de sa propre vie jusqu’au sacrifice.


La mort est au centre de l’ethos du militaire. Il se définit avant tout par rapport à cette capacité fondatrice à « donner et recevoir » la mort, plus qu’aucune autre profession. Cela dit, les opinions publiques d’Europe occidentale ont eu tendance à perdre ce point de vue, comme si le désir d’effacer les bains de sang forcés des conflits mondiaux avaient posé des œillères sociétales entretenues par les médias dans un cercle vicieux problématique.


Au fond, et Joseph le souligne à propos de la « compréhension de l’intérêt national », la question fondamentale reste celle du but. Donner du sens à l’action est toujours fondamental, qu’il s’agisse de l’entreprise, de la politique ou de l’individu.


Les polémiques actuelles, loin de clarifier, ne font que renforcer un flou général peu propice à donner à l’opinion publique des clefs pour comprendre. Le but est flou, incompris, faussé même par la masse d’informations brutes et contradictoires, de polémiques faciles et de contrevérités.


Des soldats meurent pendant les guerres. C’est le principe même de la guerre (mais non son but) que de voir tomber des soldats. Qu’elle soit le prolongement d’une politique ou d’une culture, la guerre passe par la mort, et ceux qui font le choix de s’engager dans une force armée le savent. Et dans le cas Français, l’époque n’est plus à l’envoi forcé de conscrits en zone de guerre.


Les leçons directes de l’engagement et des pertes de cette semaine sont à tirer dans les états-majors et au sein même des forces. Elles concernent du « très opérationnel », presque du micro management. Laisser croire à l’opinion publique qu’il y a lieu de lancer une polémique à propos de l’engagement d’une section revient à accentuer une fois de plus la paralysie opérationnelle des armées européennes, incapables de bouger sous le regard des caméras, et qui sont honnies et vilipendées dès que survient une perte humaine.


Les leçons indirectes de l’engagement sont plus globales. Comme le souligne Joseph, le contexte Afghan se modifie, de même que le contexte régional. A ce titre, le mutisme des médias sur la situation en Asie centrale en général et sur la question pakistanaise contraste singulièrement avec les trésors d’hypocrisie et de mauvaise foi journalistique qui aboutissent aux grands écarts que l’on constate sur l’affaire Géorgienne (mais que ne ferait-on pas pour stigmatiser Poutine, fut-ce au prix du ridicule).


Bref : loin de donner du sens, la presse manie la confusion dans la clarté. Et loin de rechercher du sens, les citoyens continuent de sombrer dans les pièges faciles. Quant aux politiciens, ils « surfent sur une vague » sans réelle capacité de recul pour donner du sens, pour montrer un but. Qui est à blâmer ?

En tous cas, ces hommes ont été dignes de la République. Il serait bon que la République soit digne d'eux.

Anonyme a dit…

D'accord avec vous sur le caractère fallacieux de la présentation de ce conflit comme une "guerre contre le terrorisme".

Cela dit, si la stratégie de communication des gouvernements de l'OTAN ne semble guère avoir que cette corde à son arc, n'est-ce pas justement parce que notre engagement là-bas ne peut être réellement justifié par un projet de stabilisation régionale ?

Cette dernière doit évidemment demeurer notre objectif prioritaire, mais est-il réaliste de vouloir y parvenir en s'évertuant à briser militairement ce qui est devenu une insurrection nationaliste pashtoune afghano-pakistanaise ?

Au-delà des tentatives de séduire la "population" afghane, il n'y aura pas de stabilisation si l'Etat afghan ne s'appuie pas sur la majorité des élites pashtounes. Karzaï appartenant à une aristocratie largement hors-jeu depuis les années 1980, existe-t-il une alternative aux Talibans et aux chefs de guerre ?

En résumé, il est louable de vouloir faire oeuvre de "pédagogie" auprès des opinions publiques européennes, mais encore faut-il qu'on soit en mesure de leur présenter une stratégie cohérente.

Anonyme a dit…

Outre la bataille de la légitimité intérieure, il faudrait aussi rééduquer les populations européennes pour qu'elles ne considèrent plus la guerre comme quelque chose d'horrible, sale ou illégitime a utliser en dernier recours (dixit Chirac), ou que la force armée et la coercition sont dépassées (dixit Villepin), mais comme une activité noble et légitime quand elle correspond a nos valeurs, la défense de la civilisation occidentale supérieure par essence (raison, science, liberté, autonomie, responsabilité, droit, efficacité, beauté... les héritages de la Grèce, de Rome, de la rennaissance et des lumières), et interets, et qu'il est noble et un objet de fierté de tomber au champ d'honneur les armes a la main.
Bref comme chez une bonne partie des américains et l'essentiel des Russes, Chinois ou Iraniens.
La bataille est idéologique pour reinstaurer la Vertu (au sens Romain) au centre de la République.

Anonyme a dit…

Elle est pas gagnée la guerre de la légitimité, ni celle de la résilience.

Il est triste que ces 10 hommes ayent été tués, mais tout ce que l'on a monté autour - le président en A'stan, la légion d'honneur dans la cour des invalides, la retransmission sur FR2 - tout cela donne à ce triste évènement une dimension que les pertes acceptées dans une guerre n'ont pas.

Il faudra aussi que l'on m'explique: en Indochine puis en Algérie, la France a reçu la dure leçon de la guerre de guerilla. Elle a expérimenté les modes de guerres qui seront repris par les US au Vietnam par la suite, notamment le combat héliporté. Elle expériementé, elle a vaincu dans de nombreuses occasions.

Combien de cols les soldats français ont-ils franchis et sécurisé en Algérie?

On peut légimement se demander: ou est passée cette expérience?

Les étudiants des écoles militaires étudient toujours, à l'heure actuelle, les mouvements des armées dans les grandes batailles de l'histoire, et l'on aurait oublié ces enseignements récents?

alex

Athéna et moi... a dit…

Sans doute avez-vous tous raison. J'aimerais néanmoins revenir sur la valeur supérieure de la civilisation occidentale : je suis un très fervent partisan de la Raison. J'ai bataillé comme peu de mes confrères doctorants, à l'époque, pour la neutralité axiologique webérienne. En gros et pour faire simple, contre une vision étriquée du constructivisme, qui voudrait que, finalement, chacun a sa voie et qu'elles se valent.

Vous allez me dire que c'est très académique. Mais, si on gratte, ces débats sous-tendaient la question du relativisme culturel. Je crois qu'il est possible d'avoir une science objective. Bien sûr, nous sommes influencés par nos trajectoires individuelles, bien sûr, nous sommes influencés par nos perceptions.

Mais, d'un autre côté, un fait est un fait. Et l'insurrection pashtouno-afghane en est un. C'est la guerre (et pour l'avoir dit depuis 3-4 ans, je ne me suis pas fait que des amis). De là à ce que nous soyons supérieurs par la Raison, il y a néanmoins un pas : sommes-nous supérieurs par notre façon de penser ou parce que nous sommes ? Sommes-nous vraiment supérieurs ? Celui qui (sur)vit sans technologie, avec 1 dollar par jour ne l'est-il pas plus parce que nous, nous serions incapables de vivre ainsi ? Honnêtement, je n'ai pas de réponse à cette question. Pourtant, c'est amusant, elle a sous-tendu toute une partie de ma thèse (la désadaptation du fait de l'adaptation technologique).

7 ans après et des centaines de soldats rencontrés après, je n'ai toujours pas de réponse claire... Disons que nous avons tracé une voie confortable. D'autres peuvent ne pas aimer le confort que nos certitudes peuvent apporter. Un bon sujet de bouquin, quoi ;o)

Anonyme a dit…

Je vous ai entendu hier sur France-Info, une intervention remarquable. Nous manquons de stratégistes comme vous !

Anonyme a dit…

-Je ne crois pas que l on puisse legitime par resiliance le sacrifice supreme a un soldats cela serai une tragédie de l histoire contemporaine d aujoud hui nous avons une puissance de feu mais un ennemie incidieux qui porte le coup a nos progenitudes au coin de la rue par des artifices perfides dont vous memes avez des craintes ensuite vous demandé au enfants de ses familles le sacrifice ecomomique dans des regions tribales manoeuvrés par des groupes obsures lui memes nervurés par des mafias . Du banlieusa qui etait enrole dans des camps tres mobiles soi dit ideologique pour les guerrias urbaines desoeuvré au familles pariarcals afgane soumises repere de tous les vices; dans la mondialisation les organimes onusiens non pas su developpe une politiques d adesion global de reference pour universalite ;un vrai soldat ne peu etre que raide aussi j ai beaucoup estime pour les militaires vivant qui selon l art de la gerre determine la ligne de front .mais ici le camp de bataille est plus complexe car votre ennemies sommeil (au propre comme au figuré ) en vous comme des metastases et lui il le sait nous on fein de l ingnoré pour s aveuglé et se rassuré .

Anonyme a dit…

ce fait est rejoint la théorie du choc. aucun changement ne seproduit sans choc. or cet événement montre:
- comment nous avons refouler notre expérience de la contre guérilla depuis la guerre d'indochine et d'algérie à cause de la fameuse tyrannie de la pénitence dans laquelle nous baignons
- nous manquons de stratégistes écoutés

Anonyme a dit…

La France peut elle avoir une politique etrangère, de sécurité et un role international sans alliances vu l'etat de sa défense?
NON
La France peut elle faire l'Europe de la defense (donc avec plus de marge de manoeuvre vis a vis des USA) en partant de l'Afghanistan alors que tous les autres pays Européen y sont et que c'est une operation OTAN avec le soutien de l'ONU?
NON
La France peut elle faire l'Europe de la defense hors OTAN alors que tous les autres pays d'Europe sont pro OTAN de la GB aux pays de l'Est et face à une resurgence de la Russie?
NON
La France peut elle rester crédible dans l'OTAN en partant ou se contentant d'un role mineur ou symbolique?
NON
La France peut elle decider de la politique sur le terrain avec des forces sous équipées representant 4% de la coalition soit un effort bien moindre que ses alliés clefs Européens du Danemark à la GB? (Et en se prenant une volée d'entrée de jeu au premier déploiement significatif sur le terrain)
NON
La France peut elle donner une victoire symbolique aux Talibans en pliant bagage et rester crédible vis a vis des puissances du conseil de sécurité de l'ONU, de l'OTAN, de l'EU, des alliés arabes ou Africains?
NON
Le départ de la France changerait il quelque chose a la politique de la coalition ou à l'issue des évenements?
NON
La coalition peut elle accepter de perdre en Afghanistan vu l'enjeu Pakistanais et l'enjeu global?
NON
Les Francais vivent ils dans l'illusion?
OUI
Y a t il de nombreux crétins en France qui preferent les barbares Talibans aux américains par anti-américanisme viscéral? (malgré même le soutien d'Obama aux opérations et à leur extension)
OUI
La PESD Européenne et sa crédibilité, alors même que la France assure la Présidence de l'Union, exige elles un accroissement de l'implication de la France sur le terrain?
OUI
La France et l'UE sont elles a la croisée des chemins?
OUI
La classe politique francaise (et médiatique) est elle démagogue et lache?
ON VA VITE VOIR
Le parti Socialiste francais va il se discrediter en tant que parti de gouvernement au sein de la gauche Européenne?
ON VA VITE VOIR
La France va elle tomber dans les poubelles de l'histoire?
ON VA VITE VOIR

Anonyme a dit…

N'ayant pas eu l'occasion d'entendre votre intervention, vous est-il possible de la mettre en ligne?