vendredi 27 juin 2008

Ca ne va peut-être pas faire plaisir mais...

J'ai, depuis quelques jours, une furieuse envie de m'exprimer sur la thématique du "devoir de réserve" des militaires, invoqué assez abruptement à la suite de la parution de l'article des Surcouf. Le fait que je sois grosso modo d'accord avec eux n'y est pas pour grand chose et mon retard est essentiellement du au bouclage des prochains DSI et T&A. Non, plutôt, ce qui me gêne réside plutôt dans l'argument d'autorité invoqué, dans sa relation à la tradition militaire française.

Historiquement, avant que l'on ne procède à un massacre en règle de revues militaires françaises pourtant de fort bonne tenue, l'expression des militaires sur des sujets les touchant directement était plutôt recherchée. Pour le curieux qui passerait par le Centre de documentation de l'Ecole militaire, les exemplaires de ce qui était alors la Revue de Défense Nationale dans les années 1950 et 1960 regorgeaient de contributions parfois très critiques à l'égard, par exemple, de la force de dissuasion alors naissante.

Ces débats ont apporté beaucoup à la France. Pour reprendre l'exemple susmensionné, j'ai le souvenir d'articles d'Ailleret, de Poirier ou de Gallois pas nécessairement piqués des hannetons. Or, ce seront eux qui auront un rôle central dans la définition du positionnement de la France en regard du nucléaire - avec un brio incroyable. Tout aussi historiquement, la France a produit de très grands auteurs : savez-vous qu'à la fondation de l'école de West Point, on y enseignait en français, parce qu'on estimait que les étudiants devaient apprendre le meilleur de l'art militaire dans la langue des auteurs ?

Tout cela, maintenant, c'est du passé, me direz-vous. Certes. Mais je suis d'accord avec Carl lorsqu'il commente le rapport Bauer sur une pensée stratégique qu'il faudrait soit-disant recontruire (quelle ineptie ! Quel autre pays d'Europe continentale produit autant que la France ? Elle peut certes produire plus, mais elle n'a certainement pas à rougir !) . Pour penser, il faut-être libre, me disaient mes professeurs. Plus j'avance (et plus je rencontre, quelque fois, des "conseils"), plus je suis d'accord avec eux.

A quand le rappel d'un devoir de réserve portant sur l'ouvrage de stratégie théorique et qui aura été édicté par un niveau politique de moins en moins au fait de ces questions ? C'est alors seulement que la France perdra en influence ! L'art militaire est complexe. Et réduire la stratégothèque que définissait Poirier à peau de chagrin au prétexte qu'elle écornerait quelque peu les décisions politiques me semble être un mauvais choix. Chez les Atlantiques (G-B. et Etats-Unis), la critique est plus que tolérée : elle est recherchée. Pour qui lit la Military Review ou Parameters, les positionnements politiques des auteurs sont parfois très funky. Ca ne leur porte pas systématiquement chance (souvenez-vous que Boyd a fini colonel et pas général).

Mais la capacité à se remettre en question est aussi une force. Parce qu'elle permet de s'améliorer (en particulier dès lors qu'il s'agit de professionnels). Du moins, si l'on considère que celui qui critique cherche lui aussi à rendre service à son pays et non pas à nuire... Mettre la DPSD sur les traces des Surcouf, comme nous l'apprend JDM, est triste.... pour ne pas dire plus. Sont-ils des traîtres ? Des menaces à la sécurité nationale ? Allons, le traître n'agira pas dans la presse (l'anonymat si critiqué, a postériori, se montre finalement des plus justifié) et les auteurs cherchent juste à améliorer un dispositif de sécurité ! Ils ont émis une opinion argumentée (après, évidemment et naturellement, on peut ne pas être d'accord) dans le pays de Voltaire. Rien de bien grave et, en réalité et selon moi, rien de plus naturel, y compris pour des militaires : ce n'est pas avec ce qu'ils ont dit qu'il y a péril en la demeure. Après tout, nous avons tous 66 millions de patrons.

Un dernier point, aussi, sur la notion de discipline. Historiquement, elle n'est pas là uniquement pour "calmer" des gens soumis au politique, disposant d'armes et qui ne sont pas nécessairement d'accord avec leurs supérieurs. Elle a une fonction très particulière : créer des automatismes qui sauvent des vies. Or, l'ambition des uns et des autres - a fortiori de ceux qui peuvent dépenser leur temps libre pour améliorer les choses - peut aussi être de veiller à sauver des vies, en offrant des des réflexions qui auront certes un effet limité (d'où la référence à un très animal référent là où il est question d'affaires humaines) mais qui auront le mérite d'exister.

Finalement, que l'on soit d'accord ou pas avec des Surcouf qui ont certes fait fort, il est aussi question de la France qui non seulement se lève tôt mais aussi de celle qui réfléchit tôt. Je pense qu'il y a là une certaine continuité et une certaine cohérence qui ont, moustiques ou pas, l'avantage de nous rappeler que réfléchir et écrire sont à la fois le nécessaire préalable à l'action mais aussi l'honneur de ceux qui, chacun à leur niveau, mettent en action la politique.

Rien que pour celà et nonobstant certains points de la réflexion sur le fond où je ne suis pas totalement d'accord, je leur souhaite longue vie, même si je ne suis qu'un petit Belge, fut-il amoureux de la France, sa seconde patrie à laquelle il doit beaucoup.

6 commentaires:

Unknown a dit…

Le texte du groupe Surcouf étant très virulent, il y a surement une volonté de faire naitre un débat et de susciter plus de critiques au sein des Armées, comme vous le souligné dans votre post.

Je pense pour ma part que lorsqu'il y a fort désaccord avec la politique menée par les chefs et en plus une tentative de bâillonnement (rappelez vous la lettre du président aux fonctionnaires des Armées appelant à la "discipline"), on se doit de paraitre à découvert et de déposer sa démission. Si les officiers (supérieurs !) de Surcouf avait fait cela dans la foulée, l'impact aurait été plus important. Peut être attendent-ils la concrétisation avec la LPM à venir.

Anonyme a dit…

« Il est aussi question de la France qui non seulement se lève tôt mais aussi de celle qui réfléchit tôt. »
Excellente formule, à transmettre à qui de droit ;o)
Bien cordialement.

Anonyme a dit…

Le groupe Surcouf mérite une sanction exemplaire car ils utilisent leur légitimité d'officiers supérieur pour remettre en question ce qui a été acté ce qui nuit au moral et à la discipline.
Leur faute a été de le faire à postériori.
Il fallait le faire AVANT (et de manière autrement mieux construite c'est a dire avec des solutions réalistes y compris sur le plan budgétaire et non pas une simple critique facile quand on ne propose rien).

Il est légitime que les militaires participent au débat, mais quand les décisions ont été prises ils doivent les appliquer sans état d'ame et surout de la part des chefs.

PI

Anonyme a dit…

Hem, PI... il y a justement un remliquat de revues militaires de fort bonne tenue dans lesquelles un certain nombre de doutes quand à l'évolution de la réflexion stratégique ont été énoncés. Et je ne parle par de Défense Nationale, tout au plus vaguement devenue une feuille de chou pour industriels qui publie quelques article de géopolitique.

Par ailleurs, si vous connaissiez les armées, vous suriez que ce qui mine le moral et la discipline se trouve justemment dans les discussions de couloir qui ne remontent jamais au grand jour. Mettre un couvercle sur une casserolle remplie de lait bouillant ne l'empêchera pas de sortir...

J'ajouterai que si la critique est facile, pondre des solutions sans poser le constat est idiot. Surtout lorsque la problématique est complexe et que vous ne disposez que d'une page du Figaro...

Pour ce qui est la discipline, JH a bien résumé à quoi elle sert. Le respect d'un subordonné ne se gagne pas en lui faisant fermer son bec à tout bout de champ...

Anonyme a dit…

"Le groupe Surcouf mérite une sanction exemplaire car ils utilisent leur légitimité d'officiers supérieurs pour remettre en question ce qui a été acté ce qui nuit au moral et à la discipline."
Ce qui a été acté ne constitue pas des mots de dieux, et tant que ce n'est pas mis en application, les marges de manoeuvre existent toujours.
De plus, si des officiers avaient ainsi critiqué le livre blanc avant qu'ils soient rendu public, on les aurait accusé avec raison de faire un procès d'intention.

De plus, on peut légitimement se poser la question de savoir si les effets de la réforme ne vont pas plus nuire au moral et à la discipline qu'un texte de quelques officiers supérieurs dans le Figaro.
Comment réagiront les soldats lorsqu'on leur donnera des ordres innaplicables par manque de matériel ? Comment vont-ils percevoir les effets de la réforme lorsqu'ils les toucheront ?

Loin d'altérer la discipline, l'existence de prises de positions telles que celles-ci pourrait bien renforcer la confiance des troupes envers leurs officiers supérieurs, car perçus comme plus proches d'eux, même si celà se fait au dépend de la confiance que la base a dans l'exécutif. Le fait que les officiers ne l'expriment pas n'empêche pas le ressentiment des soldats.

Enfin, rétrospectivement, si les décisions prises s'avéraient désastreuses, comment percevrait-on l'attitude des officiers dans les décennies à venir ? Si des décisions politiques prises par manque de vision stratégique et par logique purement comptable portent atteinte à la défense nationale, les militaires, les premiers concernés, ne seraient-ils pas les plus à même de soulever les éventuels dangers ?

C'est là qu'on peut se rendre compte que toute poursuite envers ces officiers est essentiellement politique, et que la discipline et le moral des troupes ne sont que des prétextes. Ce qui leur est reproché, c'est de ne pas avoir une confiance aveugle dans les décisions de l'exécutif, c'est d'insinuer l'idée que le politique peut se tromper.

Les militaires sont dirigés par le pouvoir politique en place, mais quelle que soit la tendance de ce dernier, leur mission est de servir la France, pas ses représentants.

Anonyme a dit…

Voila ce qu'on peut lire sur le blog de JDM

Toujours les mêmes poncifs.
Le début d'une solution commence quand on a identifié le problème et fait preuve d'humilité.
Or l'armée n'a rien proposée en 15 ans laissant les autres devoir se préoccuper de réformer.
Facile de critiquer après.
Les militaires US et Britanniques savent parler au politique et defendre leurs idées parceque ils s'entourent de conseillers civils compétents là ou ils ne le sont pas.
Le militaire est censé etre compétent sur le plan militaire mais pas forcément en gestion, sur la gestion des capacités industrielles etc..
Les généraux francais, eux,restent passifs devant le politique en en disant le moins possible, tout en agissant pas sur le plan budgétaire.Ils attendent éternellement l'homme politique qui les sauvera en augmentant les crédits...ou font finalement la petite lettre pour quémander 100 m€ quand la situation est dramatique (ca ne vous rappelle rien?).
Au bilan, les arbitrages se font trop tard et ils subissent.

"Je cite Claude Guéant : "Le seul inconvénient c'est qu'ils (les officiers de Surcouf) ne font aucune proposition, ils critiquent, des critiques qui sont d'une très grande légèreté et témoignent à mon sens d'une grande ignorance du problème et ils ne font aucune proposition"."

C'est exactement ce que j'avais dit il y a un mois ici !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Il me semble que dans une armée ou une organisation , la discussion intervient avant au niveau du leadership, mais quand elle est prise on la défend et on y adhère.
Or on voit...exactement l'inverse ce qui pour une armée est un comble!
Si il y a manque de discussion doctrinale au niveau des armées c'est bien parceque certains militaires l'interdisent et non pas les civils.
Par contre que les civils demandent à l'armée d'appliquer les ordres et la politique une fois qu'elle a été définie, ca me parait normal et de bon sens.

Le problème des armées n'est pas du à un manque de crédit mais un manque de bonne gestion et le syndrome de la tour d'ivoire, et Sarko n'est pas responsable de 40 ans d'errements.
Quand on a parlé de conseil national de sécurité et de défense, c'était aussi le moyen de rompre l'endogamie et le face a face stérile entre les armées, la DGA, les finances et le pouvoir politique et les faire travailler ensemble.

Qui a conscience ici que l'armée n'a que la moitié de la puissance conventionnelle qu'elle devrait avoir vu son budget et avec la meme R&D et nucléaire?
Ce n'est pas la faute des industriels , DGA ou seulement du politique mais avant tout des armées elles mêmes qui ne se sont pas réformées dans leur gouvernance et sont incapables d'etre force de proposition constructive.

Quand on parle d'amateurisme, il est réel sur le plan gestion et prospective.
Quand on sait que les armées ne possèdent pas d'outil informatique capable de simuler et prévoir les arbitrages!
Elle s'est tirée dans le pied. Ce n’est pas parce que c’est pire dans les autres ministères que les armées devaient ne rien faire.

Les généraux devaient agir et penser avant et non pas contester ceux qui on du le faire à leur place après, violant toute les régles d'une bonne gouvernance et d'un bon leadership

PI