mardi 10 mars 2009

Sur la géopolitique

Olivier revient sur la notion de géopolitique dans son rapport notamment aux relations internationales, et pose un certain nombre de questions qui sont effectivement intéressantes mais qui appelent également à quelques précisions. D’abord, sur l’étanchéité entre variables internes et externes qui serait le propre de la théorie des RI. Soulignons préalablement ici qu’il n’y a pas une seule théorie unifiée des RI – un exercice auquel s’était heurté R. Aron et d’autres avant lui – mais une pluralité de paradigmes partiellement concurrents.

Certes, leurs itérations montrent un certain affinage des conceptions mais, en aucun cas, les derniers développements observés, disons, depuis la fin de la guerre froide, ne mettent de côté l’interrelation interne/externe. L’émergence d’une réflexion dense et très riche sur le constructivisme ; les évolutions qu’a connu le paradigme réaliste lui-même (dont la jeunesse, effectivement, était critiquable en considérant l’Etat comme une « boîte noire ») ; les études ethnopolitiques (voire l’ethnoréalisme dans l’explicitation des relations de puissance propres aux guerres civiles) ; les travaux sur les politiques étrangères comme politiques publiques sont quelques courants d’études – parmi d’autres – montrant effectivement cette prise en compte de l’interne.

Je ne saurai trop inviter ici à la relecture de quelques bons « readers » tel que ceux dirigés/rédigés par M-C. Smouts, D. Battistella ou F. Charrillon. Les lire est à mon humble avis un préalable indispensable à toute réflexion portant sur les RI. Ensuite, la relation de puissance elle-même est une thématique naturellement transversale. Toute une école juridique peut s’en réclamer, au même titre que certains travaux en économie, en sociologie et, bien évidemment, en études stratégiques ou en politologie.

Enfin, la question de la géopolitique elle-même appelle quelques commentaires. Premièrement, son origine renvoie à une pensée opérationnelle : Kjellen, Haushofer, Spykman ou Mackinder – pour ne citer que les plus classiques – se positionnent résolument dans une optique de géographie politique : il s’agit d’appréhender des positionnements et leurs avantages comparatifs.

Deuxièmement, son évolution durant la guerre froide montre surtout une recherche d’approche multidisciplinaire, cherchant à inclure une série de variables complexes mais non déterminées par elle. La géopolitique, en tant que telle, a absorbé/inclus des théories relevant des méthodologies propres à l’histoire, à la démographie, à l’économie, à la sociologie, ou encore aux sciences politiques, y compris les études stratégiques et les RI – sans être exhaustifs.

Mais elle n’a pas reconfiguré les méthodologies qui lui étaient antérieures ou qui étaient forgées en parallèle à son évolution. De ce point de vue, et de facto, relire bon nombre de travaux de géopolitique revient souvent… à lire les travaux de politologues ou d’historiens.

Troisièmement, il faut également poser la question du « géo » de la géopolitique, qui face à l’inflation des variables – qu’elles soient explicatives ou à prendre en considération – tend à perdre sa position déterminante. Richard Ek ou Geraoid O’Thuatail, pour ne reprendre que ces exemples, sont des tenants de la géopolitique postmoderne, où la notion de temps joue pour eux un rôle aussi important que celui d’espace. Les perspectives qu’ils ouvrent sont fascinantes mais… là aussi, passé un certain cap, ils ne peuvent que s’appuyer sur des méthodologies relevant d’autres disciplines que la géographie, fut-elle politique. La question du déterminisme géographique reste également posée et me semble, comme bon nombre de déterminismes, discutable.

Quatrièmement et en effet, la question de la valeur heuristique dans le temps long de la géopolitique est posée. Elle n’est potentiellement importante que dès lors qu’elle prend en considération des méthodologies solides, dont l’établissement a fréquemment généré des centaines de publications. C’est alors qu’elle est la plus intéressante, dans la mesure ou elle permet de dépasser l’instinct de l’analyste et qu’elle l’encadre dans une vision en mesure de lui donner une valeur prospective. Sans ces méthodologies, l’approche renvoie plus à la divination ou à une analyse dans le temps court braudélien qu’à autre chose.

A ce stade, la géopolitique en tant que discipline est, par certains aspects, prise entre le marteau et l’enclume. Le marteau dans la mesure où elle doit impérativement s’appuyer sur des méthodologies « importées », issues d’autres disciplines. Certes, elle peut dégager en soi un corpus de méthodes – souvenons nous du très instructif débat de la fin des années 80 sur la relation entre la terre et la mer chez Gray, par exemple (encore qu’il s’appuyait massivement sur l’histoire). Mais leur portée reste bornée par les démonstrations issues d’autres disciplines.

L'enclume, ensuite : les exigences de la multidisciplinarité imposent de concevoir la constitution d’un savoir sous une forme réticulée, un réseau épistémique. Et à ce jeu, les déterminismes trop marqués finissent généralement par poser problème.

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