jeudi 20 décembre 2007

Fred Kagan : "la NCW, c'est has been"



Nos excellents confrères de DTI (non, rien à voir avec DSI, on me l'a déjà faite) notent avec un certain soulagement que la guerre réseaucentrée tend à empêcher les forces de penser, en offrant une réponse toute prête, sorte de mantra de la certitude informatique.

Pour Kagan, "paradigm lasted longer than it should have by about five years. It was conceived as a transformation program suitable for a strategic pause and designed for warfare very different from the conflicts of the past six years. The strategic pause, if there ever was one, is over". Je ne suis pas toujours d'accord avec l'auteur mais il me semble viser juste.

In fine, toujours selon Kagan, les forces US s'exposent à des résultats qui feront mal : à force de ne pas penser, elles pourraient bien n'avoir rien à dire aux Congressmen leur demandant pourquoi il est nécessaire de financer tel ou tel équipement. Alors me direz-vous, Kagan est-il "anti-technologique" (le genre de choses que l'on peut parfois entendre de ce côté-ci de l'Atlantique) ?

Et bien, que nenni. Le fait que DTI soit gratuit et vive, du même coup, entièrement de la publicité ne l'empêche pas de publier de tels commentaires dans ses pages ET sur son tout aussi excellent blog. Une belle leçon de déontologie en journalisme de défense et surtout la marque d'un système stratégique qui s'est ménagé une importante et très sous-estimée liberté de manoeuvre intellectuelle.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Les forces américaines feraient bien de se méfier de leur tendance au paradigme. Après la "Transformation", "l'adaptation" obnubile désormais les services, notamment dans l'Army.
Autre tendance génante: la réification. Ainsi en est-il de la "guerre irrégulière" qui, soit est pensée comme l'avenir de la Guerre (Hammes), soit est perçue comme une forme immuable dont il s'agit de redécouvrir les "bonnes pratiques"...
Dernier défaut agaçant de la communauté de Défense aux EU (mais qui a quand même de grandes qualités, comme la liberté de ton): les références à des "gourous". Pour la contre-insurrection, beaucoup pensent être devenus des "dieux de la Guerre" après avoir lu Galula... A ce sujet, je recommande à l'avance les futurs travaux de Christopher Griffin, un étudiant américain avec qui j'ai eu de fréquents échanges et qui cherche à approfondir la vision américaine de la contre-insurrection en Algérie.
Mais comme vous le soulignez, on ne peut que prendre exemple sur la liberté de ton en vigueur dans ces débats.
Cordialement

Athéna et moi... a dit…

Bonjour Stéphane,

Je ne pense pas que l'adaptation soit un paradigme en soi - soit une façon d'appréhender un objet), c'est plutôt une loi (soit un intangible sauf preuve du contraire) : la vérité est là, celui qui ne s'adapte pas - d'une façon ou d'une autre - est mort.

Ceci dit, voir la guerre réseaucentrée comme un paradigme est effectivement une erreur aussi grossière que de la considérer comme une doctrine.

Il y a quelques temps, je donnais une conférence sur les cultures technologique et, à l'heure des questions, un membre de l'assistance m'indiquait, l'air perplexe, que j'avais parlé de technologie sans lui parler de la NCW. Je lui ai répondu que la NCW n'avait rien à voir avec la culture technologique : elle en était un produit, pas une composante en soi... et certainement pas un absolu. En bref, si ça fonctionne, tant mieux... tant que ça fonctionne.

Ceci dit, vous avez tout à fait raison quant à la "sacralisation" de l'une ou l'autre approche. L'adaptation présuppose justement de ne pas faire d'une doctrine un dogme. Auquel cas toute agilité intellectuelle est naturellement condamnée, condamnant dans la foulée l'adaptation.

Et quant aux gourous, il faut les lire. Mais à la façon d'un boxeur : en ne restant pas sur ses positions et en balaçant des coups de poing sur leurs failles. Ca ne peut qu'améliorer les conceptions ;o) Et pour celui qui n'aime pas la bagarre, qu'il oublie la toge blanche du sacre gourouesque ;o)

Anonyme a dit…

En fait, plutôt qu'adaptation, il faudrait parler d'adaptabilité. (lire les déclarations des chefs d'Etat-major et les différents articles paraissant dans les revues professionnelles). C'est une bonne chose en soi, et le pragmatisme impose que l'on cherche des modèles d'une telle attitude (l'Army chez les Marines avec l'exemple de la refonte de la formation des chefs sur le modèle de la décentralisation des responsabilités). Le problème est que tout cela fait un peu trop "sciences sociales" (avec un accent sur l'aspect scientifique... c'est l'historien qui parle en moi, et en ce moment il parle fort :))
Ce que j'essaie maladroitement de dire, c'est que le processus itératif est inhérent à la manoeuvre -et qu'il manque dans le raisonnement tactique de l'Army, même si je pense que le chef au combat abandonne bien vite les procédures qu'il juge non pertinentes sur le moment- mais également qu'il faut se méfier de la réification. J'échangeais récemment des mails avel le col GENTILE, de West Point. Il représente, dans la communauté des bloggueurs et des revues professionnelles, un cas à part. En effet, il considère que beaucoup d'officiers de l'Army manquent d'humilité par rapport à leurs résultats effectifs dans la stabilisation de l'Irak. Selon lui, cette attitude s'explique par la norme doctrinaire en vigueur dans l'institution. C'est à dire qu'à partir du moment où on applique les "bonnes pratiques " (preuve de réification, il n'y a pas de bonnes pratiques de la COIN dans l'absolu mais seulement une gestion complexe d'un environnement qui ne l'est pas moins et dans lequel il faut faire preuve d'humilité en fonction de la loi des "effets indésirables"), tout va bien. C'est cette tendance à la "silver bullet" que je reproche. Pour GENTILE, une autre crainte est la substitution normative du FM 3-24 au FM 3-0 auquel il est pourtant subordonné. En soi, cela révèle peut-être des soucis corporatistes ou identitaires, mais cela démontre l'excessif effet de mode (et rien n'est plus superficiel et éphémère que la mode!)

Je crois en fait que deux choses me hérissent dans ce débat américain.
1) la redécouverte de la roue crée un effet de mode qui ne peut qu'être néfaste à la réflexion. Je constate néanmoins, pour rester équilibré, que des voix s'élèvent pour contrer cette tendance. Notamment Christopher Griffin que j'ai soutenu dans un débat sur Galula dans lequel il essayait d'expliquer que Galula n'était pas toute la pensée française en matière de contre-insurrection (je l'ai orienté vers le Tchad dans les années 1970-1980 pour sa recherche).
2) Surtout, la tendance dans l'Army (chez les Marines cela paraît équilibré) au "tout ou rien". La plupart des auteurs pensent en terme de force brute (Peters) ou en terme de "petites guerres"menées grâce à la "conscience culturelle" et en étant "gentil".. Autrement dit, "adapt or die" devient "la COIN ou la mort"!! Mais la COIN "classique" , c'est à dire inspirée des Français, des Britanniques, voire du CORDS au Vietnam.. C'est délirant de voir combien l'Army a besoin de reprendre les termes mêmes des expériences du Vietnam (CORDS, Phoenix, etc...).

Désolé pour ce commentaire un peu long. J'espère qu'il permet efficacement de nuancer mon propos.
Stéphane