jeudi 24 juin 2010

Deux remarques sur "l'affaire McChrystal"

C'était la grande nouvelle de la soirée d'hier, B. Obama a débarqué McChrystal du commandement des opérations en Afghanistan, suite à la parution d'un article dans Rolling Stone - article que l'on peut par ailleurs lire ici et qui ne manque pas de m'inspirer 2-3 commentaitres.

Premièrement, sur le contrôle civil des militaires. Il est certes très spécifique aux Etats-Unis (pas mal d'ouvrages ont exploré la question) mais, au-delà, c'est bien la question de la liberté du militaire dont il est question. Les remarques de MC sur sa rencontre avec un ministre sont clairement inappropriées (que le premier militaire n'ayant jamais pesté contre le politique me jette son chargeur) et son dédain de Paris lui est personnel. Finalement, nous avons tous nos villes préférées. Sans vouloir lui trouver d'excuse, le type est sous pression, à "de la gueule" et c'est précisément ce qu'on lui demande.

D'un autre côté, si un militaire est soumis aux décisions politiques, sa liberté de penser (quoiqu'il puisse penser, même si cela pose un problème au politique) est quelque chose de déterminant : c'est aussi pour cela qu'on le paie et pas pour jouer au gars qui ira dans le sens du politique s'il sait que ce dernier se trompe. Cette dernière tendance a toujours existé dans les armées et touche également les armées européennes. Mais c'est ainsi que l'on perd les guerres, en particulier lorsque le politique est de moins en moins conscient des potentialités comme des limites de l'instrument militaire. A ce stade, trouver de nouveaux type de relations politico-militaires, où le premier considère réellement le deuxième comme un conseiller, va être déterminant pour l'avenir même des armées.

Pour suivre le journaliste, blâmer MC pour avoir choqué des alliés en Afghanistan ne devrait pas retomber sur le dos du général... mais bien sur celui des alliés : le type est là pour obtenir du succès et la collection de caveats des alliés n'est pas sans poser problème. Lui imputer par ailleurs le retrait néerlandais et la démission du président allemand, c'est encore autre chose - le journaliste n'a manifestement pas bien étudié la question.

Deuxième remarque sur la COIN, cette fois. La question fait débat aussi en France où elle serait opposée à la guerre régulière. Première sous-observation, la guerre régulière n'est que marginalement (même de nos jours - regardez avec quoi la guerre de Géorgie a été gagnée) une guerre de haute technologie. Faire de ces deux catégories des synonymes démontre que l'on connait mal ses classiques.

Deuxième sous-observation, "LA COIN", sous-entendue comme une doctrine unique, n'existe pas. De Lyautey à Gallula ou à Calwell, personne n'a de recette miracle et, surtout, ses interprétations sont très variées. Jetez un oeil à DSI : ces 4 dernières années, des auteurs reviennent fréquemment sur la question et leurs interprétations sont parfois très différentes. En poussant plus loin, on pourrait même poser que "LA COIN" n'a de sens que dans un cours de première année de sciences po' ou... si l'on veut disqualifier la gamme de concepts qu'elle recèle.

On peut aussi se poser la question de savoir par quoi remplacer "LA COIN" : raser des villes et des villages ? Prendre l'ensemble de l'Afghanistan à coups de brigades blindées, comme on l'aurait fait lors d'une contre-attaque contre telle ou telle brigade soviétique pénétrant en Allemagne ? Refuser un ordre du politique demandant une intervention au motif que l'on n'est pas adapté ? Refuser de s'adapter, à cet égard, c'est aussi la mort d'armées qui, historiquement, ne sont pas là pour mener des opérations que certains considèrent comme étant "idéales" (aucune, d'ailleurs, ne l'est) : la guerre, c'est sale et darwinien. Le plus adapté l'emporte.

Maintenant, comparons cela à ce qu'en dit Rolling Stone : "From the start, McChrystal was determined to place his personal stamp on Afghanistan, to use it as a laboratory for a controversial military strategy known as counterinsurgency. COIN, as the theory is known, is the new gospel of the Pentagon brass, a doctrine that attempts to square the military's preference for high-tech violence with the demands of fighting protracted wars in failed states. COIN calls for sending huge numbers of ground troops to not only destroy the enemy, but to live among the civilian population and slowly rebuild, or build from scratch, another nation's government".

Ah bon ?

3 commentaires:

Midship a dit…

L'ISAF est une mission de l'ONU, dont le commandement est confié à l'OTAN.

Le chef de l'OTAN, c'est l'assemblée de tous ses pays membres, qui est représentée par le secrétaire général : Rasmussen.

Ca devrait donc être ce même Rasmussen qui annonce la politique de l'ISAF et notamment le nom du commandant. Et à Bruxelles.

Or là, tout se passe à Washington, tout est décidé par Obama. A-t-on au moins pour la forme consulté, ou même informé, par voie diplomatique les alliés de l'intention de proposer à l'OTAN le changement de commandement ?

Non, rien n'imposait une telle urgence. Quand bien même cela s'eut été le cas, l'état major de l'ISAF dispose d'un second, comme toute organisation militaire, capable d'assurer l'intérim, le temps que l'OTAN nomme un nouveau chef, ou au moins, désigne une nation pour fournir ce chef.

Bien sûr, le poids des USA étant énorme, celà serait revenu au même, mais la forme est là : les USA pensent être responsables du monde, et les alliés sont des "sous traitants".

clarisse a dit…

Parmi la foule de réactions à cet article, celle-ci a un angle de lecture intéressant:

"General McChrystal points to the members of his staff and says: “All these men, I’d die for them. And they’d die for me.”

General McChrystal got it entirely backward: generals definitely don’t die for their soldiers, and soldiers don’t die for generals. They die because generals order them into battle to accomplish a mission, and some are killed carrying out those orders.

General McChrystal’s statement is that of a man who is sentimental about his job, and who has confused sentimentality with command.

For too long, the Army has been led by sentimental men, by peacocks in starched fatigues and strutting ascetics surrounded by public relations teams. But the Army doesn’t need sentimental generals; it needs generals who can give the kind of difficult and deadly orders that win wars."
http://tinyurl.com/23jhgj8

Midship a dit…

Question subsidiaire : Pourquoi, dans les patrouilles urbaines de Kaboul par exemple, les soldats de l'ISAF ne portent-ils pas de casques bleus, bannière azur et blanche, rameau d'olivier ?

Comment se fait-il que l'ONU, "armatrice" de l'ISAF, soit inaudible, absente de toute représentation ? Aurait-on un doute sur la capacité de l'ISAF à amener la paix ? Ne serait-ce pas là le but recherché ?

La symbolique ONU permettrait sûrement de modifier rapidement les opinions publiques occidentales. Pourquoi l'ONU s'en garde-t-elle ?