Un reportage de la chaîne privée RTL-TVI diffusé avant-hier soir a montré un djihadiste converti belge qui s'est prêté au jeu de l'interview. Sur le fond, la rhétorique est classique - avec une pointe de légitimation de son combat par la question du voile à l'école - et l'opération de communication aura été excellente pour lui et son groupe.
Si c'est l'occasion Simon Petermann et pour moi d'intervenir sur la même chaîne aujourd'hui à 12h40 (je tâcherai de mettre le lien), comment considérer l'opportunité accordée à la journaliste ?
- Premièrement, il s'agit de communiquer à bon compte. Comme le type l'indique lui-même, Youtube et le Web 2.0. permettent de recruter, d'orienter voire de former (ce qui renforce les questionnements sur un "djihad 2.0"). Mais, ajouterait-on, rien de tel qu'un journal télévisé pour toucher des centaines de milliers de gens en même temps ;
- Deuxièmement, les toucher pas tant pour les inciter à rejoindre le djihad (quoique...) que pour influencer leur perception de l'adversaire, en le faisant passer pour totalement déterminé. Et ce, alors même que la Belgique est extrêmement vulnérable au "zéro mort" et qu'un round de discussions vient de s'achever entre les Etats-Unis et Bruxelles sur l'envoi de renforts en Afghanistan ;
- Troisièmement, renforcer la culture de la peur dans laquelle nous sommes immergés : j'y reviens de façon plus complète dans mon ouvrage sur la résilience (il ne faut pas trop demander à un blog, non plus !) mais la Belgique a un sérieux problème avec le concept même d'intégration et l'insistance sur la question de l'école n'est pas innocente. Il s'agit, dans cette optique, de renforcer la méfiance et la suspicion, susciter la peur sans même que des attentats ne soient commis. Le summum de l'économie des forces ;
On ajoutera que l'emploi de la télé n'est pas innocent. Gino Verleye a bossé là-dessus et j'y reviens dans "résilience" mais, fondamentalement, certains médias, lorsqu'ils sont mal employés sont plus susceptibles d'inspirer la peur - et la TV est en tête de peloton. En fait, dans certains cas, l'afflux d'information produit les effets inverses recherchés en "résilience construite" : l'angoisse plus que la réduction préemptive des effets de surprise. Seule compensation à ce phénomène d'inversion, la nécessité de remise en perspective et l'éducation des téléspectateurs à la prise en compte de ce type d'information. En Belgique, nous n'y sommes toujours pas.
Un responsable de l'Organe de Coordination et de l'analyse de la Menace indiquait hier ne pas bien comprendre pourquoi un djihadiste communiquait maintenant. Et bien, c'est très simple : parce qu'en l'occurrence, pour le djihadiste en question, ça ne mange pas de pain et ça crée des effets.
Dernière petite remarque, le parquet à beau déclarer qu'une enquête sur le type en question a été ouverte, nos institutions ne semblent toujours pas avoir compris qu'un terroriste n'agit pas dans une rationalité d'ordre criminelle mais bien d'ordre stratégique. Dans un tel cadre, toutes les options sont ouvertes et inviter une journaliste à prendre le thé, c'est du pain béni. Djihadiste 1 - Belgique 0.
mercredi 20 janvier 2010
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5 commentaires:
Sans compter un sens assez malsain du scoop : le coup de la petite jeunette qui veut lancer sa carrière, c'est d'un lourd...
sur le lien youtube-TV, j'ajouterais que là où youtube fait (beacoup?) d'efforts pour nettoyer son site de videos non désirables (djihadistes, violence, porno, etc), les médias "traditionnels" empruntent le chemin inverse à bien des égards...il s'agit d'une tendance intéressante bien que non généralisable à tout le 2.0, ni à tous les médias traditionnels...mais bon!
En outre, ce qui est souvent gênant avec ces reportages (bon je confesse ne pas avoir vu celui-ci) c'est ce système de robinet ouvert, càd qu'on donne la parole pour ces individus, on leur offre une tribune et il manque souvent la bonne contre-analyse dans la foulée pour éviter que cela serve justement la propagande djihadiste...Joseph va résoudre cela en partie, mais en partie seulement, car moins de gens regardent RTL+ que le JT...malheureusement (ou heureusement parfois au vu des sujets/invités, mais bon là je m'égare) ;)
Le travail des journalistes dans ce type de situation est toujours sujet à réflexion.
Le reportage de Véronique de Viguerie pour Paris Match qui avait montré les trophées des Talibans suite à l'embuscade d'Uzbin en 2008 était du même acabit.
Je me demande parfois si devoir d'information et stratégie militaire ne font pas mauvais ménage.
Car oui, il s'agit bien d'information. Certes elle permet aux terroristes de recruter et de faire passer leurs messages mais c'est bien là que réside l'information.
C'est également en partie ce qui fait vivre les armées modernes. L'usage des médias est loin d'être neutre.
Les échanges avec les terroristes sont suffisamment rares pour être étudiés avec intérêt.
Par exemple, ceux qui pourraient se montrer parfaitement neutre, jeunes journalistes afghans qui tentent de suivre les insurgés dans leur quotidien, sont considérés par l'US Army comme n'étant pas des journalistes et comme n'étant de fait pas protégés par le droit de la presse.
Le rapport aux médias est dans tous les cas particulièrement intéressant dans les questions de sécurité aujourd'hui.
Cordialement,
Salut,
Je demande la permission de partager ce billet sur mon blog (http://mecanoblog.wordpress.com/). Certains points évoqués rejoignent la manipulation des mass médias en plus du règne de la peur qu'ils ont instauré avec la guerre contre le terrorisme.
Merci d'avance.
Dès lors que vous citez la source du message, pas de problème.
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