Un ami me posait récemment une question très pertinente : pourquoi le renseignement n'est-il pas, en Allemagne, en France ou en Belgique, un sujet d'étude au niveau universitaire ? De fait, en dépit de l'attention portée à la question par le dernier Livre blanc, la question ne fait pas l'objet, comme en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, de l'attention qui peut lui être portée avec des intelligence studies particulièrement fournies.
Alors, petite hypothèse : lorsque l'on considère les Etats où le renseignement est étudié (et, généralement, relativement choyé par le gouvernement), on voit qu'on a affaire à des Etats où la culture stratégique a une dominante maritime. Or, ceux-là ont aussi un rapport particulier à la démocratie (comme à l'innovation) : ils sont plus ouverts et y traiter ce que les démocraties "continentales" considère comme des "dirty little secrets" y est moins problématique.
La défense du principe démocratique y est aussi plus affirmée. Quand un Britannique veut se faire peur au cinéma, il va voir un film où les fascistes ont déferlé sur Albion. La culture, bien sûr, peut muter : c'est peut être le cas de Pays-Bas historiquement très maritimes mais dont la "continentalisation" progresse. Le rapport des démocraties continentales est quant à lui plus ambivalent. C'est une thématique traitée en science politique et j'ai l'occasion d'y revenir dans le Seapower à paraître en mars.
Reste le cas français, qui semble, dans l'optique de l'hypothèse susmentionnée, confirmer le point de vue de Bruno Colson selon lequel la France est également continentale et maritime. Il y a des poussées vers cette étude, mais timides. Au final, une sorte d'équilibre rendu un peu plus instable par le fait que - autre caractéristique continentale - étudier les questions de sécurité au sens large est la meilleure façon de miner une carrière universitaire.
C'est une tentative de réponse, sans plus. Mais la question reste posée : à parler de surprise stratégique, de renseignement (technique ou humain), sait-on de quoi l'on parle exactement ? De l'apport réel des renseignements, des difficultés qu'ils rencontrent (et que les intelligence studies situent d'ailleurs plus au niveau politique) ? De fait, le chantier intellectuel est énorme et, bien malheureusement, totalement en friche...
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6 commentaires:
Bonjour,
Je ne connais guère la question, mais la visite du site de quelques institutions américaines enseignant les "Intelligence Studies" m'amène à penser qu'il faudrait clarifier le problème.
Par "Intelligence Studies", entend-on le fait d'étudier le monde du renseignement, ses méthodes, etc. (en quelque sorte, faire une sociologie du renseignement) ? Les centres américains spécialisés dans les Intelligence Studies me semblent avoir une autre vocation, qui est de former des praticiens du renseignement. Ce sont-là des choses assez différentes l'une de l'autre.
Pour rebondir sur le commentaire du dessus :
L'article est-il pour l'implication d'universitaires dans le renseignement, ou pour la fondation de filières universitaires du renseignement ?
Bonjour tout le monde,
Je posais la question sur un plan strictement académique, et plus proche d'une sociologie, en amont de ce que B. Bajolet désire. Mais il est vrai qu'aux Pays-Bas, vous trouvez des programmes de Master en université qui préparent à travailler pour les renseignements locaux. Les académiques locaux tendent naturellement à y enseigner.
La première étape en la matière est d'avoir de la matière à donner et je crains que la lecture des ouvrages de l'un ou l'autre barbouze n'y soit guère adaptée ;o)
Bonjour Joseph,
Je suis heureux de constater que ma question fait réfléchir :-) Eh oui, cela reste un terrain tristement en friche dans nos pays, à de trop rares exceptions près. Pour répondre à Elian, oui il s'agit bien de former les praticiens du renseignement; quoique, améliorer la compréhension du monde du renseignement diminuera les théories conspirationnistes des inquiets et améliorera la pratique du contrôle démocratique sur ces institutions. Pour répondre à Kouak, il s'agit aussi bien de pouvoir travailler avec des universitaires (Outreach) que d'avoir une réflexion universitaire sur, par exemple, l'analyse du renseignement et comment l'améliorer et/ou travailler sur l'avenir du renseignement. Depuis la guerre froide, le monde est devenu plus complexe et les menaces sont devenues globales et réticulaires. Il est urgent maintenant de développer, comme aux USA (depuis des décennies), un corpus universitaire sur le renseignement. La matière existe, la connaissance et l’expérience aussi, il faut maintenant (et cela devient urgent) traduire cela dans les faits et développer ces matières dans nos pays. A quand une collection « renseignement, analyse et pratique » chez Economica ? :-)
Amicalement
Je pense qu'une cause de l'intérêt porté au renseignement est aussi le caractère défensif de la stratégie d'un pays (la situation insulaire rendant ce positionnement plus probable certes - avec comme corollaire le développement d'une marine puissante).
En effet la peur d'être attaqué incite à chercher le renseignement plus ardemment : on doit découvrir les intentions de l'attaquant qui lui, choisit l'heure et le lieu.
Ainsi la Pologne fut plus efficace que la France dans le décryptage d'Enigma, par instinct de survie.
Quant aux USA on connaît leurs penchants un peu 'paranoïaques' qui les pousse à tout vouloir contrôler (d'où une NSA aussi tentaculaire que son efficacité semble relative...).
Les français, les allemands, n'ont pas de telles peurs, qu'elles soient rationnelles ou non. Pas d'état de siège mental en gros...pour le meilleur et pour le pire.
Et puis l'inviolabilité du territoire est devenu pour toutes les nations d'Europe continentales une notion assez relative contrairement aux anglo-saxons...
Oui, le chantier intellectuel est énorme.
Une des raisons en est peut-être le théorème des 15 minutes maximum de réflexion:
http://plexus-logos-calx.blogspot.com/2009/10/a0018-theoreme-des-15-minutes-maximum.html
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