samedi 5 septembre 2009

Guardian Falcon : 780 missions et une trentaine de tirs

C'est le 2 septembre 2008 qu'ont été envoyés, pour la deuxième fois, 4 F-16 (2 autres les ont rejoint depuis lors) de la Force Aérienne (1). Ils étaient par contre basés, pour la première fois, depuis Kandahar. Depuis, ils ont, selon La Libre Belgique, accumulé 2.500 heure de vol au cours de 780 sorties - soit environ une mission de deux appareils/jour.

Les appareils ont participé à 116 engagements, dont 3/4 de show of force, tandis que des munitions ont été tirées "à une trentaine de reprises". Fait remarquable, "aucune victime innocente n'est à déplorer parmi la population locale lors de ces interventions". L'ensemble appelle plusieurs commentaires de ma part :

-1 : d'abord, sur la politique de communication (et petite parenthèse dans le débat stratégique). Depuis l'arrivée de De Crem, des points presses sont tenus plus fréquemment. Plus de détails y sont donnés que par le passé. En ce sens, si la CGSP défense (syndicat socialiste) indiquait dans son dernier "Info défense" qu'elle n'était pas d'accord avec moi sur la plus grande clarté des infos (tout en me rejoignant sur l'importance de la recherche stratégique - ce sur quoi je les remercie : ça fait du bien de se sentir soutenu !), je maintiens néanmoins. Aussi, si les parlementaires ne lisent pas la presse, spécialisée ou non, il est évident qu'ils se montreront étonnés de l'activité belge ou, plus largement, ISAF sur place...

-2 : sur l'utilité du show of force (SOF) et, plus généralement, sur l'utilisation des forces aériennes en COIN. C'est une thématique sur laquelle j'aimerais revenir dans un bouquin (et sur laquelle je vais pouvoir martyriser mes étudiants courant octobre). Grosso modo, le SOF est une mesure certes efficiente - une preuve de plus d'une dissuasion tactique - mais naturellement temporaire.

Elle permet de volatiliser l'adversaire dans l'espace mais de façon uniquement transitoire - ce qui n'en est pas moins utile, évidemment. Ce qui tend à me renforcer dans mes convictions sur l'importance que la persistance (et, plus généralement, le rôle du facteur temps) peut avoir pour l'art de la guerre.

Si je reviens dessus dans Airpower et Seapower, elle montre aussi que si nous avons conquis le facteur géographique, le temporel reste une terra (partiellement) incognita. De ce point de vue, je vous renvoie à l'excellent article de Gregory et Christophe, dans le prochain DSI-T.

3 : sur le débat portant, pour les forces aériennes, sur l'opposition entre engagements "de haute intensité/classiques/réguliers/symétriques" et celui sur les engagements "de basse intensité/non conventionnels/irréguliers/asymétriques" (qui irrigue notamment Alliance Géostratégique ce mois-ci).

Outre que ces catégories tendent à se brouiller - vertus de la techno-guérilla faisant - elles doivent aussi être analysées par le concret des engagements et ce qu'ils signifient pour la préparation des pilotes - et pas uniquement en termes de choix technologiques. Ici, les informations sur l'activité de la FAé sont intéressantes : rotations de personnels aidant, ce sont pas moins de 53 pilotes qui sont, jusqu'ici, intervenus en Afghanistan - soit une part non négligeable des pilotes FAé.

Autrement dit, lorsque je donnais mon cours de stratégie aérienne théorique l'an passé, seuls quelques-uns dans la salle voyaient concrètement (soit au-delà de ce qu'ils avaient lu ou discuté) de quoi on parlait lorsqu'on évoquait le COIN. Cette année, les gars seront déjà bien au courant d'une série de facteurs, de tendances et de constantes. Si c'est une "génération COIN" qui se lève, c'est aussi une génération qui a connu le combat - et non les seuls entraînements - et appliqué des procédures qui rentrent dans un cadre non seulement COIN mais, également "classique".

En d'autres termes - on y viendra peut-être au cours de la table ronde "maîtrise aérienne" que j'animerai aux prochaines Université d'été de la défense, le débat ne se pose pas tellement en termes de "compétences COIN" Vs. "compétences classiques" mais en termes de différences "vécues" par les forces aériennes, que ce soit en planification ou en exécution. Or, force est aussi de constater que là aussi, les modes d'engagement évoluent.

Pression technologique faisant (guerre réseaucentrée, volume d'information et de communication), le "flex targeting" (recours aux forces aériennes "à la demande") devient standard. Et ce, on l'a vu en Irak ou au Kosovo, aussi bien en engagements réguliers comme irréguliers. Les bons vieux "raids" préplanifiés existent toujours (en phase d'ouverture principalement) mais force est aussi de constater qu'ils nécessitent moins de compétences.

Le plus dur reste d'intervenir "à la demande" dans une des innombrables vallées qui constitueraient une zone d'engagement potentielle, en opérant le choix de munitions le plus approprié, en faisant gaffe à ses arrières (y compris dans les stratégies contre-aériennes des guérillas), à la position des "amis", à celle d'adversaires bien moins visibles que des chars, en tenant compte des ROE et, last but not least, en restant méchamment concentré après un vol de plusieurs heures qui vous endolorit.

Le COIN, de ce point de vue et pour les forces aériennes, pourrait ne pas signifier une perte de compétences air-sol mais bien les accroître - y compris face à la menace antiaérienne. Après, bien évidemment, reste la question de la supériorité aérienne. C'est évidemment autre chose... Mais c'est aussi pour cela que les entraînements sont faits.

Après tout, depuis 1945, les seuls engagements air-air d'une force aérienne européenne continentale l'ont été (je peux faire une erreur) en 1991, 1992 et 1999. As-t-on pour autant perdu les compétences acquises durant la 2ème GM ? Le résultat dis tout : aucune perte pour nous et des adversaires au tapis. Comme le disait si bien Nimitz : training, training, training...

(1) En théorie, nous sommes sensés parler de "composante air" depuis la réforme "joint". Concrètement, "FAé" reste largement utilisé.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Après tout, depuis 1945, les seuls engagements air-air d'une force aérienne européenne continentale l'ont été (je peux faire une erreur) en 1991, 1992 et 1999. As-t-on pour autant perdu les compétences acquises durant la 2ème GM ? Le résultat dis tout : aucune perte pour nous et des adversaires au tapis. Comme le disait si bien Nimitz : training, training, training...
---
Je vous trouve très généreux sur ce point. L'apport aérien Européen (continental, donc pas la GB) était très négligable pendant ses guerres. Donc qu'il n'y ait pas eu de pertes est tout à fait normal. Dire que c'est dû à l'entrainemt me semble imprudent.

A.g. a dit…

J'ai énormément de mal avec ce concept de Show of force, et je crois franchement que je n'y adhèrerait jamais.
Que montre réellement les armées à part leurs volontés de ne pas s'engager?
Nous exposons du personnel a la formation exigeante et sélective dans des manoeuvres délicates par la configuration des lieux, les exposons à une riposte qui même avec des armes légères, peuvent avoir un impact critique au sens propre sur le fonctionnement de la machine, pour un simple "éparpillement"?
Effectivement le rapport au temps est important mais là rapport aux différences de civilisation, il semble franchement qu'il joue contre les occidentaux. Ne serait ce que dû au coût de l'heure de vol comparé à celui du déploiement du taliban dans un contexte de crise économique.
En terme du traitement du problème je ne suis pas persuadé non plus que retarder constamment le minuteur d'une bombe contribue concrètement à améliorer les choses mais plus a différer les conséquences à des générations ultérieures, de civil, de combattants.
C'est plus pour moi le témoin d'une aseptisation des sociétés occidentales -zéro mort, zéro pertes- qui, en touchant le secteur militaire par la pression des populations civiles les fragilises.

Anonyme a dit…

En premier lieu, je crois me souvenir que l'armée de l'air française a connu quelques pertes au moment de l'attaque contre l'ex-Yougoslavie.
En ce qui concerne l'Afghanistan, on a vraiment l'impression qu'il s'agit pour les armées occidentales, non pas d'une lutte anti-talibans (ce mot même devient controversé) que d'un vaste champ de manoeuvre, qui n'est d'ailleurs pas sans pertes humaines pour ces armées.

Athéna et moi... a dit…

Non non : le Mirage 2000N perdu (comme un F-16C et un F-117) ont été le fait d'engagements sol-air. Dans mon post, je parlais bien d'air-air.

Pour le reste, la question du nombre d'engagements effectifs (mesurés en nombre de sorties), tant dans les campagnes air-air que dans des campagnes air-sol, seuls les Américains font mieux que nous. Erythréens, Ethiopiens, Russes, Chinois et consorts sont en-dessous de nos chiffres.

Quant à l'entraînement... c'est lui qui permet à des Norvégiens de battre (à armes inférieures) des appareils US au cours de Red Flag... Là dessus, je pense qu'il est bon d'être intransigeant.

Ce n'est pas en restant dans les feuteuils de la base qu'on apprend à contrer les tactiques émergentes ;o)