Je réagis ici à un post de JD Merchet, qui examine l'émergence des "Afghansty", nouvelle génération de combattants formés et acculturés aux opérations afghanes... qui pose, en creux, la question de leur adaptation aux opérations classiques.
Première remarque, il faut prendre garde d'opposer "guerre froide" et "guerres actuelles" : ce sont là deux choses non comparables. Les Etats-Unis l'ont payé au prix fort, à trop considérer que les opérations classique/conventionnelles étaient plus exigeantes que les irrégulières, ils sont complètement passé à côté des spécificités du conflit. Au final, ils ont produit des statistiques impressionnantes de tonnages de bombes larguées et d'adversaires tués - ce que fait également l'OTAN. Elles étaient totalement non-pertinentes dans le contexte, révélant une conception linéaire certes plus appropriée. Relire l'ouvrage de Summers (On Strategy) vaccine durablement contre ces biais très technologisants.
Deuxième remarque, cela ne veut pas dire qu'il faille déconsidérer la "haute intensité", que du contraire. D'ailleurs, la "haute intensité" est un terme que je n'aime pas - l'on parle d'ailleurs actuellement et assez justement de HICOIN (High Intensity Counter-Insurrection). Il faut tout simplement savoir faire les deux, sans tomber dans le travers de certaines propositions (la mise en place de forces spécifiquement "conventionnelles" et "non-conventionnelles"). Mais faire les deux est difficile, me direz vous. C'est évident.
Mais la donne a changé : l'opposition entre combats réguliers et irréguliers n'est pas si radicale qu'il n'y paraît. Il y a certes des différences doctrinales importantes mais la grammaire fondamentale des opérations est la même, tout comme les "fondamentaux" des combattants. L'Afghanistan, de ce point de vue, force à réapprendre la progression en colonne, l'éclairage, la protection des flancs, la logistique et tous les gestes élémentaires.
Nous évoluons également dans un environnement professionnalisé. Plus question de conscrits russes, français ou américains qui attendent que se termine leur "tour of duty" et qui demandent dans une large mesure à dégager du théâtre. Ce qui change assez considérablement la donne de la premièrte richesse des armées à savoir leurs hommes - qui restent, jusqu'à preuve du contraire leurs capteurs et leurs effecteurs - pour parler en langage "conventionnel technologisé" - les plus évolués et les plus intelligents.
Dernière remarque aussi sur le futur des opérations : dans l'hypothèse d'une guerre conventionnelle, croire qu'on va rejouer la "guerre froide" ou la "Seconde Guerre mondiale" me semble très dangereux. Les lecteurs de DSI le savent bien, nos adversaires potentiels étudient, lisent encore plus et développent des concepts qui, une fois le jour de l'affrontement venu et bien évidemment, ne chercheront pas à les amener à jouer notre jeu. Personne ne fait la guerre pour la perdre.
Ce qui pose en retour bien des questions auxquelles l'on ne peut répondre sur un blog. Par contre, j'ai bien ma petite idée - à lire en pavé d'ici, j'espère, la fin de l'année.
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7 commentaires:
Joseph, tout à fait d'accord avec toi sur le fond. Toutefois, Merchet parle de l'expérience des hommes, ce qui est une chose, quand tu évoques les conclusions stratégiques, ce qui en est une autre.
Par ailleurs, on peut distinguer quatre générations : celle de la guerre froide (qui a presque complètement disparu), celle qui s'est dépucelée dans les Balkans dans les années 1990, celle qui a découvert que l'Afrique (RCI et Tchad) n'était pas la chasse gardée des colos (2000's), celle enfin qui travaille en Afghanistan (aujourd'hui).
Chacune a acquis une expérience opérationnelle (qu'on ne peut hiérarchiser, car elles sont toutes l'apprentissage de la réalité de la guerre). Chacune aura en son sein des penseurs qui décriront, aujourd'hui ou demain, les lignes stratégiques de demain.
Dernière remarque, que tu mets bien en avant : l'Afgha rappelle des principes tactiques (rôle de chacun, liaison, appui réciproque, ...) qui sont valables dans tous les environnements.
O. Kempf
Salut Olivier,
J'aurais dû être plus précis : en fait, mes précisions touchaient aux sous-entendus/inductions de la dernière partie de l'intervention de JDM. Effectivement, côté expérience humaine, il est clair que les hommes ne peuvent être que marqués (même si, interactions agent/structures faisant, au commandement de garder la barre et le cap ;o)
En même temps, Merchet c'est pas le summum de l'analyse stratégique... Il y a un relent de "si on n'est pas sûr de gagner, on n'y va pas" qui me pose comme un problème... On est là pour s'adapter, faut juste nous faire confiance.
A ce propos, je ne sais pas si vous avez vu le reportage sur le 27e BCA en Afghanistan, diffusé sur M6 dans "Zone Interdite", c'était absolument incroyable. Respect !
je souscris totalement à l'analyse de JH. pour m'occuper actuellement d'entraînement et de doctrine, je note que les tropismes et/ou les visions parfois binaires (haute et basse intensité, guerres modernes versus conventionnelle, grande querre patriotique et opération de stabilisation) font souvent partie du vocabulaire ambiant dans l'armée française, à tous les niveaux, parfois dans un souci louable de vulgarisation, souvent aussi pour faire "jeune". je note qu'on ne parle plus de piège et de mines mais d'IED (il y a vingt ans on causait road side bomb). j'ai même entendu que les combats entre tchadiens à Ndjamena en 2008 étaient de la basse intensité....
je note non sans malice que les principes que nos anciens avaient formalisés restent pérennes :
se dépLAcer, se poster , employer ses armes - dépasser un objectif, ne pas s'arrêter à découvert, accélerer quand on est pris sous le feu, etc. je note enfin que la manoeuvre par les effets (déclenchement des appuis avant toute manoeuvre de choc) n'a pas changé, si ce n'est une intégration interarmées plus poussée.
A+
Cher Joseph bonjour,
Je vous signale une interview de René Girard à propos de son livre "Achevez Clausewitz", à la fin du dernier post que je viens de faire qui revient sur la Théorie girardienne.
Mon précédent post (juste en dessous, Scène 15) était consacré au reportage du 27ème BCA en Afghanistan, non d'un point de vue tactique ou stratégique, mais du point de vue de sa conception médiatique.
Je partage un certain nombre de vos développements même si je vous sais gré de votre précision relative à la nature de votre réponse à l'intéressant de JDM.
C'est vrai qu'il est plus facile de raisonner en termes binaires et que c'est parfois un piège en matière d'analyse. Cependant, l'évocation de plusieurs générations de combattants s'adaptant à leur environnement et aux théâtres où ils interviennent est particulièrement intéressante.
Je crois pour ma part que la question de la guerre industrielle (Vs. guerres actuelles) n'est pas complètement tombée et qu'elle demandera une autre adaptation à nos forces le jour où elle se présentera.
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