vendredi 29 mai 2009

Base aux Emirats, quelques commentaires

La masse de travail étant ce qu'elle est pour l'heure, je n'avais peu eu l'occasion de revenir plus avant sur la question de la nouvelle base française aux Emirats, sur laquelle RMC puis Radio Mediterranée International avaient eu l'occasion de m'interviewer, en début de semaine. Voici, grosso modo, quelques commentaires sur la question.

C’est le 26 mai que le président Sarkozy a officiellement inauguré la base française d’Abu Dhabi, connue sous le nom d’Implantation Militaire Française aux Emirats Arabes Unis (IMFEAU). Accompagné par le ministre des affaires étrangères, celui de la défense et le CEMA, le président a rappelé l’importance géopolitique de la région.

Concrètement, « la base » est répartie sur trois sites : une base navale à Mina Zayed, une base aérienne (où 3 appareils sont stationnés depuis septembre 2008) à Al Dhafra et une base destinée aux forces terrestres (comprenant un centre d’entraînement aux opérations désertiques) à Zayed. Au total 500 hommes devraient être positionnés en permanence à Abu Dhabi. Au-delà du fait, la base recouvre plusieurs enjeux majeurs :

- L’enjeu géostratégique d’abord. La base permet, évidemment, de verrouiller l’Iran – situé à 225 km – mais, surtout, le détroit d’Ormuz, que le Shah d’Iran qualifiait justement de « veine jugulaire de l’Occident » dans un contexte où l’Europe est, comparativement aux Etats-Unis, plus dépendante du pétrole du Golfe. Elle constitue, en outre, l’extrémité ouest de la zone d’intérêt stratégique prioritaire que la France définissait dans le dernier Livre blanc et qui s’étend de l’Atlantique à l’océan Indien en passant par la Méditerranée ;

- L’enjeu militaire. Avec l’IMFEAU, c’est la zone de l’océan Indien à proprement parler tend dès lors à renforcer son poids relatif. Or, cette zone (y compris le Golfe) est également celle où la majeure partie des croisières du Charles de Gaulle a été menée. La base des Emirats représente ainsi un facteur de persistance régionale – voire de compensation au deuxième porte-avions. A ce stade, si elle n’a évidemment pas les caractéristiques d’un porte-avions (fixe et non mobile, donc plus vulnérable) et que la compensation est symbolique, elle apporte aussi d’autres avantages que le porte-avions : elle peut accueillir bien plus que 30 appareils de combat (qui pourraient, à terme, être bien plus intégrés au dispositif réseaucentrique émirien) et permet de mettre en œuvre… des forces terrestres ;

- L’enjeu d’influence. Là où elle est installée, la France collabore activement et quasi-quotidiennement avec les forces locales, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis, où la coopération avec les forces du cru est plus formelle et donc moins souple. La base s’insère ainsi dans un dispositif d’influence plus large, comprenant l’extension quatariote de St Cyr, les extensions dans le Gole arabo-persique de la Sorbonne ou du Louvre ou encore, de façon plus diffuse, les acquis de la présidence Chirac en matière de politique arabe ;

- L’enjeu commercial, sur lesquels les médias se sont beaucoup focalisés mais qui ne constitue qu’une extension de l’enjeu d’influence. La base est destinée à devenir la vitrine des forces françaises dans un Moyen Orient où l’Iran fait peur et où les vannes budgétaires de défense sont à nouveau ouvertes. Or, la France est loin d’avoir les parts de marché dans la région qu’elle a pu avoir précédemment. En fait, les conditions ont changé : on n’achète plus de matériel sur base de leurs performances mais bien sur base de l’influence politique du vendeur. Comment, sinon, expliquer le succès du F-35 alors même qu’aucun exemplaire n’a encore volé là où la communication de Dassault est axée sur un Rafale « combat proven » ? Comment expliquer autrement que par l’influence que les Emirats achètent des C-17 et des C-130J en quelques mois – et sans avoir l’argent nécessaire – là où Paris est engagé depuis plusieurs années dans les négociations portant sur les Rafale ? En cherchant à se porter garante de la sécurité de la région, la France acquiert ainsi de l’influence qui, en retour, doit ouvrir les portes de la signature des contrats ;

- Enfin, l’enjeu politique n’est pas mince et il est double. Premièrement, la France ouvre, pour la première fois depuis 50 ans, une base militaire à l’étranger – un élément que n’ont pas manqué de souligner les médias américains. Ce qui tombe plutôt bien car Paris est, avec Washington, la seule capitale à entretenir de grandes bases à l’étranger (le dispositif britannique n’étant plus que l’ombre de ce qu’il était encore dans les années 1970). Le message politique aux Etats-Unis – mais peut être aussi auix Européens en général et aux Britanniques en particulier – consiste, dès lors, à montrer que la puissance française n’est pas morte. Ce qui, deuxièmement, a un véritable impact en matière de politique intérieure française. On se souvient que les réactions des militaires à la parution du dernier LBDSN avaient été plutôt froides. La base, de ce point de vue, est également une façon de faire bomber le torse à l’armée, lui rappelant que la France conserve des ambitions globales, en dépit d’une réforme douloureuse…

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne comprends pas pourquoi vous dites que la GB n'a plus de grande bases dans le monde!

Athéna et moi... a dit…

Bonjour et merci de votre commentaire,

J'ai juste dit "de grandes bases à l'étranger", ce qui ne laisse que les 2 bases chypriotes, très loin d'ailleurs de ce qu'elles ont été (tout comme les Bermudes, très symboliques).

Les Malouines, Gibraltar et Ascension sont UK, formellement... et donc pas, du point de vue de Londres, à l'étranger.

Fañch a dit…

Et pour renchérir sur ce qu'Athéna disait, la France possède également des bases "dans le monde" en Guyane, Martinique, La Réunion, Nouvelle Calédonie et Polynésie, ce qui est, vu de Paris, "en France formellement", mais que certains européens et a fortiori les USA peuvent considérer comme à l'étranger.

A noter aussi qu'à la différence de la Côte d'Ivoire, du Sénégal, du Tchad, de la Centrafrique ou de Djibouti, les EAU sont la première implantation massive et durable à l'étranger (base et/ou opex) dans un pays qui ne soit pas une ancienne colonie Française. De ce point de vue là, et à la différence des USA (qui n'ont jamais colonisé la Turkie ou l'Italie par exemple), l'IMFEAU est la première d'une nouvelle génération de base en dehors des frontières métropolitaines.

Frédéric a dit…

A signaler, concernant les bases militaires, que l'Inde à ouvert une base aérienne en Asie ex Soviétique, et que la Chine déploie son fameux ''colliers de perles'' bien qu'officiellement, les installations de celle ci reste sous juridiction nationales et ne sont que des ''facilités portuaires''. Pour la Russie, à part ex URSS, on parle du retour de l'Eskadra en Syrie et des Tupolev en Amérique Latine, mais rien de concret pour l'heure.

Anonyme a dit…

Athéna a dit
"J'ai juste dit "de grandes bases à l'étranger", ce qui ne laisse que les 2 bases chypriotes, très loin d'ailleurs de ce qu'elles ont été (tout comme les Bermudes, très symboliques)."


Oui oui, j'avais bien compris. Mais la GB a 20 000 hommes en Allemagne (par exemple)! De plus, la base française d'Abu Dhabi n'est vraiment pas grande.

Londonian a dit…

C'est plus le BAOR. Et les bases vont bientôt fermer, nous n'avons plus l'argent. Et puis, l'Allemagne, pour nous comme pour les Français, c'est pas "le monde", c'est juste nos voisins. Singapour, Aden, Malte, Hong Kong... que ce soit été des colonies, c'était global. Et on ne les a plus !