Dans la foulée du débat dominical auquel m'avait été donné l'occasion de participer, je me suis dit que l'alerte terroriste que nous avions connu en Belgique à la fin 2007 devait être source d'enseignements. D'où une opinion parue dans La Libre Belgique d'aujourd'hui et que je me permet de reproduire :
Cessez de respirer, nous pourrions être attaqués !
Bien des leçons sont à tirer de la récente alerte terroriste. Surprenante dans un pays où l'on a systématiquement minimisé les risques d'attaque, elle a certes démontré la réactivité de l'OCAM - le nouvel organe chargé de l'évaluation de la menace - et de la police. Mais elle a également démontré notre dénuement en matière de stratégie contre-terroriste. On ne peut, en effet, se limiter à disposer de services de renseignement et d'une police ostensiblement déployée sur le terrain dans l'espoir de dissuader des attaques (1) . L'expérience le montre, l'effet dissuasif d'une présence policière ou encore de caméras est minime face à des kamikazes déterminés. Si l'on me rétorquera qu'il fallait bien faire quelque chose, je ferai néanmoins remarquer que, dans l'observation de comportements suspects, un policier en civil correctement formé - ce qui est encore loin d'être le cas - sera quasi-systématiquement toujours plus efficace. C'est une première leçon.
Deuxième leçon, notre communication de crise en connaît une particulièrement aigüe. L'on a voulu communiquer, bredouillant des projets d'évasion de N. Trabelsi puis évoquant d'autres menaces, sans guère clarifier. Soit, en communication contre-terroriste, la pire des configurations. L'expérience britannique en matière de gestion de la résilience montre en effet que, face à une menace, il est nécessaire de communiquer, de façon à réduire les effets néfastes d'une attaque sur la population. Si l'on ne pouvait éviter les effets physiques (les explosions), il reste possible de limiter les impacts psychologiques. Or, ces derniers sont liés à la surprise provoquée par les attentats, et plus on communique, moins la surprise est importante. De ce point de vue, la Belgique revient de loin : à force d'avoir minimisé durant des années la probabilité que le pays puisse être la cible d'attentats, nous devons à présent rattraper le retard en toute urgence, au risque de provoquer une paranoïa... qui aura surtout démontré la victoire des terroristes.
De là découle une troisième leçon. La permanence de la menace impose d'accepter un certain nombre de réflexions pour le moins désagréables. Ainsi, si nos services, malgré leurs efforts, ne détectent aucune activité, cela ne veut pas pour autant dire que rien ne se passe. Dès lors, il faut accepter la possibilité qu'une cellule ne soit pas démantelée à temps et qu'elle réussisse un attentat. De ce point de vue, certifier à la population que jamais rien ne se passera est aussi irresponsable que les atermoiements quant à l'attribution à la Sûreté ou au SGRS de nouvelles ressources. Par ailleurs, cette permanence de la menace nous impose de nous organiser en conséquence. C'est une tâche complexe qui passe autant par une prise de conscience - au travers, notamment, de l'enseignement - que par une formation adéquate de la police ou des pompiers (par définition plus à même que le niveau politique à gérer une communication de crise sur le terrain), par une meilleure offre d'information aux citoyens (via des sites internet, par exemple) ou par des simulations régulières impliquant le niveau politique (la clé de l'efficacité du maire de New York, le 11 septembre).
L'expérience britannique en matière de résilience, de ce point de vue, est riche. Mais, malgré un coût dérisoire, elle semble délibérément déconsidérée en Belgique, la complexité institutionnelle faisant bien souvent obstacle à son déploiement : une politique de résilience impose en effet des coopérations entre les ministères fédéraux, des régions et des communautés. C'est encore sans compter sur les lourdeurs bureaucratiques et l'inertie. Ce n'est ainsi qu'en 2007 que le Parlement européen a mis en place un contingency plan examinant différents scénarios lui permettant de continuer à travailler en situation de crise. Combien d'entreprises en disposent ? Nos principales institutions en ont-elles développé ? Là aussi, on le voit, une stratégie contre-terroriste intégrée et efficace ne peut se contenter de s'appuyer sur les services de renseignement et la police.
La quatrième leçon devrait être évidente mais ne le semble pourtant pas : il faut continuer à vivre. Euthanasier l'économie en tendant vers l'imposition de ce qui s'apparente à un embryon de couvre-feux - par exemple, en fermant le marché de Noël sur la Grand - Place à 18 heures - n'aidera en rien la lutte contre le terrorisme. Premièrement, sauf à vider les rues des passants, vous n'empêcherez pas une frappe. Vous n'empêcherez pas non plus le terroriste de frapper avant la fermeture des commerces (sans doute, d'ailleurs, plus fréquentés un samedi à 15 heures qu'un mardi à 19 heures). Deuxièmement, vous contribuerez à instaurer un climat de peur qui, historiquement, n'a jamais été propice à la consommation. Or, ajouter au terrorisme le marasme économique ne me semble pas être une bonne solution ni au financement de nos services ni à l'obtention d'un climat harmonieux de "vivre-ensemble". Au final, si des mesures aussi spectaculaires que la fermeture des commerces où l'annulation d'un feu d'artifice "donnent l'impression de faire quelque chose", l'usage de techniques de filtrage eût sans doute été préférable.
A cet égard, en matière de contre-terrorisme, le "summum de l'art" consiste à impliquer la population dans sa propre sécurité. Or, l'attitude du gouvernement a quasi-systématiquement consisté, ces dernières années, à indiquer qu'il se chargeait de tout au travers des services de sécurité. Or, la population a également un rôle à jouer, ne fût-ce qu'en facilitant le travail des services, en comprenant leurs actions, en ne les entravant pas et en ne les surchargeant pas. Ainsi, à la suite des attentats de Londres en juillet 2005, le nombre de colis suspects signalés aux services de pompiers et de police bruxellois a augmenté de 600 pc, les appels étant le plus souvent de bonne foi, soulignant ainsi la paranoïa naissante d'une population que l'on n'a jamais formé à faire face à ce genre de situation. De ce point de vue, en annulant des événements populaires, l'on coupe la population de sa propre sécurité face à une menace qui n'est pas totalement avérée.
A ce rythme, un décalage risque de rapidement se faire sentir entre des événements annulés et des événements autorisés. Comment faire l'arbitrage ? Au moindre signe de menace - on l'a vu, toujours latente - devons-nous cessez de respirer et nous enfoncer dans la paranoïa ? Devons-nous donner aux terroristes la plus belle des victoires, celle qui consiste à terroriser et à soumettre sans même avoir à frapper ? Des réactions trop linéaires - fermetures et déploiements massifs de forces de l'ordre - sont sans doute le signe d'une réflexion insuffisante. Ces mesures peuvent être nécessaires dans certains cas de figure, mais elles ne sont pas la panacée. Si soutenir le développement de nos services de renseignement fait à présent l'objet d'un consensus (quoique, certains me diront, peu suivi dans les faits) et que l'on reconnaît - enfin ! - que nous ne sommes pas moins visés qu'un autre Etat, il faut encore apprendre à vivre avec la réalité du monde.
Il est temps : nous sommes plus de 6 ans après le 11 septembre... et nous n'aurons pas toujours la chance de ne pas voir de bombes éclater durant une aussi longue période.
(1) Evidemment, ces mesures possèdent d'autres avantages... mais pas dans la prévention d'une attaque.
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6 commentaires:
Quelle est la place de l'angélisme et du politiquement correct dans ce manque de volonté des autorités belges? Le fait de ne pas vouloir directement ou indirectement "stigmatiser" une communauté (et des électeurs) ne renforce-t-il pas l'immobilisme?
Alex
Au fais, vrai ou fausse alerte ? Les personnes qui ont étaient interpellé furent relaché dans les 24 ou 48 h et nombre de blogs et sites "alternatifs" ont hurlé à la manipulation.
Je ne vois pas le rapport. L'excellente analyse de Joseph Henrotin permet justement de sortir de ce débat stérile. Nos services savent quels milieux ils doivent surveiller (j'ai bien dit "milieux" et non "communauté"). En ce qui concerne les autres aspects de la gestion de la menace terroriste (ceux que J.Henrotin expose ici : surveillance routinière, communication, etc..), je ne vois pas l'intérêt de prendre un compte un quelconque facteur "communautaire". Sinon à vouloir provoquer une radicalisation et accroître ainsi la probabilité de passages à l'acte.
Les manquements de nos autorités n'ont donc rien à voir avec leur prétendu angélisme.
Bonjour tout le monde,
En fait, Alex n'a pas tout à fait tort. Certes, aujourd'hui, il n'y a plus d'angelisme "communautaro-centré" (à la demande d'ailleurs de beaucoup de musulmans : personne n'a envie de mourrir !).
Mais il a bel et bien existé et le côté "dangereux" de la situation actuelle est qu'il faut passer de l'ancien "non, un attentat n'est pas possible, d'ailleurs nous n'étions pas en Irak" (si, si, véridique... même si l'on oubliait de dire que les Espagnols avaient retrouvé des bombes après leur sortie d'Irak) à "c'est possible, on fait ce qu'il faut pour essayer d'éviter ça".
Le problème réside dans le décalage : sur ce dossier, la confiance des gens envers le gouvernement était exécrable, d'après les études de l'UGent.
On l'a d'ailleurs bien vu dans les commentaires SMS passant en TV : "ils nous mentent", "ça profite aux Flamands", "tous pourris", j'en passe et des meilleures.
LEs gens ne sont évidemment pas idiots, ils comprennent que l'Europe est visée et que notre politique était en total décalage. Et ce décalage avait effectivement pour source le niveau politique et des préoccupations... assez malsaines.
Ceci dit, effectivement, on sort de tout "communautarisme" dès lors que l'on s'attaque au problème et qu'on revient aux réalités. Aucun segment de la société en particulier n'est visé dès qu'on retourne à un discours plus sain : la loi étant la même pour tous, celui qui la transgresse sera puni.
De ce point de vue, effectivement, l'angélisme nous a mis en danger et a nourri le communautarisme comme le racisme. Mon seul souhait en cette matière est que nous conservions une posture où l'on reconnaît la menace (ce qui, honnêtement, n'est pas gagné d'avance).
J'ajouterais un dernier élément : la Sûreté n'a jamais travaillé dans une optique "communautariste" ("protéger" une communauté ou la cibler) : elle a toujours travaillé en ciblant des individus et, pour connaître quelques personnes dans la maison, sans angélisme aucun. Maintenant, en interdisant de communiquer, le politique donnait une toute autre impression et là est bien les problème...
La troisième réaction est une flagrante illustration du point que je soulevais :-)))
Alex
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