L'évolution de la politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) a fait l'objet, fin mai, d'un séminaire du Centre de Recherche de l'Ecole de l'Air (CREA) et du GERI (Groupe d'Etudes en Relations Internationales) sur la base de Salon de Provence. C'était, pour les organisateurs, l'occasion d'aborder sous des angles très divers et sans tabous une politique à la fois complexe mais, également, qui continue d'agréger les espoirs.
Avec l'adoption du traité de Lisbonne, la PSDC se voit sortir de l'ornière dans laquelle le référendum irlandais l'avais placé. Reste, pour autant, qu'une impulsion majeure en matière de politique de défense européenne se fait toujours attendre. Après la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne (CUE), celle de la Belgique, pourtant traditionnellement en point en matière de construction européenne, n'augure pas de véritables avancées. Il s'agit surtout de poursuivre les efforts entamés par d'autres, de continuer à essayer de convaincre les Britanniques de la nécessité d'un véritable quartier-général européen (Londres semble s'orienter vers cette idée mais, nuance de taille, la composante civile y serait particulièrement prégnante). Bruxelles chercherait également à mettre en évidence l'option de "spécialisation" qu'elle a choisi pour ses forces, abandonnant certains pans de ses capacités - une idée qui n'est pas nécessairement partagée par plusieurs états-majors pour des raisons que l'on comprendra.
Il s'agirait également pour la Belgique de mettre en place la méthode de mise en œuvre de la Coopération Structurée Permanente (CSP), qui autorise les Etats qui le désirent à renforcer leur coopération dans l'un ou l'autre domaine. Nouveauté permise par le traité de Lisbonne, la défense peut faire l'objet d'une CSP, ne manquant de poser problème. Deux grandes catégories de positions peuvent, en effet, être schématisées. Soit la CSP est dite inclusive, cherchant à rassembler le maximum d'Etats ; soit elle est exclusive et dresse des critères d'adhésion permettant d'engerber que les Etats le plus soucieux de leur défense. A ce stade, la question est évidemment de savoir quels sont les critères d'adhésion retenus. Or, la part de la défense dans le PIB (domaine où la France est 3ème et la Belgique… 23ème) a d'abord été pressentie comme principal référent méthodologique mais l'impact de la crise est tel que ce critère pourrait ne plus être pertinent. In fine, première crainte, une définition trop rapide des critères de mise en place de la CSP dans un sens trop inclusif dupliquerait la situation actuelle entre Etats "moteurs" et "free-riders" et ne permettrait pas d'accélérer l'Europe de la défense.
Une deuxième crainte ne s'entrevoit qu'en creux, lorsqu'il est question d'aborder la question de la coopération entre l'Union européenne et l'ONU en matière de gestion de crise. Si les expériences passées (à l'instar d'Artémis, au Congo, ou EUFOR-Tchad) ont bien été mises en évidence, comme le principe du "bridging" (selon lequel l'UE lance une opération avant de transmettre sa continuation à une force de l'ONU) l'analyste discerne rapidement une immaturité institutionnelle. La plupart des intervenants ont ainsi pointé du doigt la grande complexité des relations entre les Etats et les institutions mais aussi entre les institutions elles-mêmes - alors même que des instruments mis en place ne sont pas utilisés -, ce qui tend à focaliser l'attention des opérationnels. En retour, ces difficultés tendent à totalement occulter les aspects militaires des opérations mises en place, à commencer par la relation à l'adversaire. Ces dernières semblent comme laissées au militaire, dans une optique de nature tactique, alors que la question est évidemment plus complexe : que faire dans l'hypothèse d'une brusque montée en puissance d'un adversaire, qui débouche sur une bataille en bonne et due forme ? Le manque d'une véritable culture militaire n'apparaît pas comme réellement problématique dès lors que l'Union s'engage sur des zones "tièdes" ou "froides" et qu'aucun incident majeur - comprendre, une bataille - ne s'est encore produite. Cependant, à rester cantonnée dans cette vision, aucune véritable Europe de la défense ne peut émerger.
La troisième crainte touche à la question de l'approche globale. Il était symptomatique d'entendre un intervenant parler des Etats-Unis comme d'une superpuissance mais de l'Union européenne comme d'une "puissance globale" - en quelque sorte, rhétoriquement démilitarisée - d'autres revenant sur "l'approche globale" par trop démilitarisante, elle aussi. De facto, sur 24 opérations menées par l'Union européenne, 7 sont véritablement d'ordre militaire. Aussi, que ce soit dans la perception que les Etats-membres ont de l'Union ou que ce soit au niveau de la perception que l'OTAN a de l'Union, une crainte de voir de voir l'UE se transformer en fournisseur de composantes civiles - laissant à l'OTAN les opérations militaires - reste perceptible. On a, ici, affaire à un paradoxe typiquement européen : le gros des forces OTAN sont, de fait, européennes. Certaines prévisions laissent entrevoir, vers 2020-25, la possibilité que les membres de l'Union disposent de plus d'avions de combat et de navires de surface que les Etats-Unis et le budget de défense de ces Etats, une fois combiné, est le deuxième du monde. A ce stade, on sent poindre comme une inquiétude à avoir à mener seuls des opérations militaires de grande envergure en n'étant plus encadré par Washington.
Au-delà, c'est aussi toute la question de la valeur de l'approche globale, telle qu'elle est connotée à l'UE comme à l'OTAN, qui émerge : concept large, sans réelle valeur doctrinale, il chercherait à faire comprendre que les opérations d'aujourd'hui ne sont plus uniquement militaires mais impliquent des composantes civiles, de stabilisation ou encore de reconstruction. Or, c'est bien l'une des grandes valeurs de l'histoire militaire que de démontrer que cette "découverte" n'est en rien une nouveauté. Il suffit pour s'en convaincre de (re)lire cette somme qu'est Stratégies irrégulières pour voir que la compréhension de la nature multidimensionnelle, en mille-feuilles, de la guerre, n'a pas attendu le 21ème siècle. Aussi, derrière l'anachronisme historique que représente l'approche globale se pose une autre question : la PSDC n'a-t-elle pas été laissée trop longtemps aux mains des spécialistes des Security Studies, intellectuellement insuffisament armés, et pas suffisamment à celles des spécialistes des études stratégiques ?
jeudi 1 juillet 2010
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