On ne le sait guère en Europe continentale - où le sujet est tabou dans les Universités - mais il existe des "Intelligence studies" tout ce qu'il y a de plus honorable et de plus académiquement encadré. En pointe, les Américains et les Britanniques, bien sûr. Mais aussi les Hollandais. But du jeu : étudier, comprendre, cerner les enjeux et les défis, décortiquer les pratiques et tâcher d'en tirer des leçons utiles.
Après tout, le renseignement est un fait social comme un autre et, à ce titre, l'esprit n'a pas à abdiquer sous quelque prétexte que ce soit. Nous sommes aujourd'hui très loin des imageries populaires, tantôt du James Bond glamour ou du barbouze pataugeant quelque part entre le glorieux et le véreux.
L'explosion de ces Intelligence Studies est l'un de signes de ce que l'on appelle depuis quelques années la Revolution in Intelligence Affairs, en référence à la Rrevolution in Military Affairs. Cette fois, pas de gadgets robotisés et autres fantasmes d'ingénieurs. Non, là, le le mot clé est "réseau" - au sens social du terme. Couverture des sources ouvertes, interactivité avec les mondes journalistiques, militaires et académiques et, plus accessoirement, poursuite des programmes "technologiques" sont autant de figures d'un renseignement à la fois décomplexé mais aussi d'autant plus sur les charbons ardents qu'il représente bien souvent la premiière ligne de défense face au terrorisme.
Dans la foulée, il est aumusant de constater à quel point cette "révolution" est culturellement révolutionnaire : pour preuve, le très discret Shin bet israélien vient de mettre en place son blog. Pas d'informations "sexy" - une révolution n'est pas toujours un cataclysme - mais des témoignages d'agents. But du jeu : recruter les meilleurs en les mettant au parfum de ce qui les attend.
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9 commentaires:
Au risque d'être un peu provocant, je remarque que cette nouvelle "industrie du renseignement" donne du travail à pas mal de monde, mais quelle est sa réelle valeur ajoutée ?
Démanteler des réseaux terroristes passera toujours, avant toute chose, par les bonnes vieilles méthodes d'infiltration, de recours à des indicateurs, choses que l'on n'apprendra jamais à l'université. A ma connaissance, ceux qui passent leur journée à analyser les sites djihadistes (vous parlez de "couverture des sources ouvertes"), même s'ils sont compétents, n'ont jamais réussi à prévoir et prévenir un attentat, au contraire des vrais "barbouzes" (qui demeurent donc la première véritable ligne de défense contre le terrorisme).
Fournir des éléments d'analyse est indispensable mais n'est pas la même chose que faire du renseignement.
En résumé, je me demande si on n'est pas face à une inflation démesurée du concept d'intelligence, qui phagocyte ce qu'autrefois on appelait tout simplement "analyse et prospective".
Cette évolution n'est d'ailleurs pas sans dangers. On remarque ainsi que cette "intelligence en chambre", qui ne correspond ni à un vrai travail académique ni à un travail de renseignement au sens strict, est particulièrement vulnérable aux manoeuvres d'intoxication (je pense par exemple à un certain nombre d'informations bidon relayées par Jane's IR).
Au contraire du commentateur précédent (pardon, pardon), je trouve que l’idée est à la fois intelligente, relativement simple à mettre en œuvre (si la volonté existe, cela va sans dire) et utile dans le sens où elle pourrait fournir des éléments d’information et de réflexion inédits, complémentaires et/ou différents de ceux recueillis par les services étatiques.
Bien sur, de telles activités doivent être strictement encadrées pour éviter les dérives : il ne s’agit pas de ne s’en remettre qu’à elles mais bien d’ajouter de nouvelles sources, peut-être plus « décomplexées » et iconoclastes, que celles fournies par les canaux habituels. Quant au risque d’intox, il est permanent dans ces domaines et touchent aussi bien les « officiels » que les autres. Comme toujours, c’est aux récepteurs et décideurs finaux de faire preuve de jugeote et de savoir démêler le vrai du faux, l’utile de l’accessoire…
Et puis soyons pragmatiques : dans ce combat, toutes les bonnes volontés, toutes les compétences ne doivent-elles pas être utilisées, même si elles agissent « hors cadre » du moment que ceux qui reçoivent leurs analyses connaissent, justement, cette particularité ?
Maintenant, et au-delà des arguments rationnels parfaitement compréhensibles, il y a certainement, dans nos contrées, des réticences qui relèvent plus du culturel…
Pour être légitime, une discipline d'études doit avoir un objet et/ou une méthode spécifique. Qu'en est-il en ce qui concerne les Intelligence Studies ?
J'ai un peu peur (mais je ne demande qu'à être rassuré) qu'il s'agisse de former des "spécialistes de tout et de rien" grâce à un programme de Relations Internationales "light" et d'area studies tout aussi superficielles.
Au final, le risque est d'institutionaliser et donc de légitimer un champ (para-)académique dont l'utilité n'est pas évidente. Mais qui aura par contre un écho médiatique démesuré, comme c'est déjà le cas en France avec un certain nombre de directeurs d'Instituts-fantômes. En effet, le temps que l'on passe dans les rédactions ou les restaurants est inversement proportionnel à celui que l'on passe dans les livres ou sur le terrain.
On est quand même ici dans un domaine où il est impératif de "savoir de quoi on parle" et pas seulement d'avoir des idées, aussi "décomplexées" fussent-elles. Cfr par exemple un rapport de triste mémoire de la RAND concernant l'Arabie, qu'il fallait "désaoudiser" et couper en trois; exemple type des élucubrations d'un spécialiste de "l'intelligence" aux idées "audacieuses" mais aux connaissances inexistantes.
Tout d'abord, je souhaiterais abonder dans le sens de Joseph Henrotin: il est grand temps de parler en Europe de la RIA. Nous devons absolument avoir une réflexion interne dans nos services à ce sujet.
Quant à la position prise par "anonyme", je ne peux être totalement en accord avec lui. Premièrement parce que il ne peut exister de renseignement sans analyse (cycle du Rens): le Rens humain ne se fait pas au feeling! Infiltrer n'est pas un but en soit. Encore faut-il savoir comment le faire et connaître le background culturel du milieu que l'on infiltre. Un Opérationnel occidental n'a jamais infiltré un réseau islamiste (quant au terme barbouze, il n'est utilisé que dans les films !) Par contre connaître son ennemi (culture, modus operandi, moyens humains & techniques ...) est indispensable à l'OT (Officier Traitant) pour l'élaboration d'un plan opérationnel de collecte d'informations. Informations qui, après analyse (et seulement après analyse / cf cycle du Rens) deviendront renseignements! Le process est plus long et plus compliqué qu'il n'y paraît !
Actuellement, plus de 85% du renseignement provient de sources ouvertes (OSINT), le reste de HUMINT (Rens humain) et autres (en fonction des pays et moyens: SIGINT, IMINT...).
Ceci étant, je suis d'accord avec vous que le "Rens en chambre", c'est à dire sans appui de collecte est vide de substance.
Enfin, n'oublions pas que le "core business" d'un service de renseignement est l'aide à la décision et que la lutte contre le terrorisme n'est qu'une des menaces existantes. Le contre espionnage (en particulier économique) reste une des missions premières de nos services !
Enfin, concernant d'éventuelles manipulations (LOL, private joke!), même les gens de terrain sont des cibles privilégiées :-))) (Oui, cela sent le vécu...récent!!)
Sica
PS : ce thème mériterait un long débat devant un bon single malt :-))
Pour répondre à la personne s'interrogeant sur la légitimité du champ (sous-) disciplinaire, je ne puis que renvoyer à l'introduction de Loch K. Johnson in Ibidem (Ed.), Handbook of Intelligence studies, Routledge, London, 07.
Le champ, je pense, est assez facilement délimitable : les services de renseignement, leur relation aux opinions publiques et au politique. En découlent une série de "branches annexes" : les moyens et leur développement, les représentations induites, les retours d'expérience, l'influence empirique sur les relations internationales et spécifique dans la structuration de relations bi- et multilatérales, etc.
En cela, les méthodes son naturellement celles de la sociologie/science politique, mais aussi celles de l'histoire ou encore de l'économie. De ce point de vue, le champ est naturellement multidisciplinaire.
L'enjeu me semble particulièrement important à un double niveau. D'une part, à l'heure où l'on voir émerger des cours portant sur l'anthropologie des skate-boardeurs (si, si !), l'étude du renseignement ne me paraît pas moins légitime. Plus sérieusement, les SR n'ont été étudiés que d'une façon relativement indirecte, le champs n'étant justement pas considéré comme légitime. Or, je ne vois pas ce qu'il a de moins légitime que, par exemple et dans le cas belge, l'étude en science politique des relations syndicales au sein des entreprises...
Ce qui nous amène au 2ème niveau d'enjeu : celui de l'évitement de l'apparition de proto-experts en tout et n'importe quoi. Dans "discipline", il y a d'abord "discipline", ce qui seignifie que les fantasmes sur les SR n'y sont pas des méthodes d'analyse mais des sujets d'étude ;o)
J'ajouterais encore - j'ai envoyé trop vite - que si la RAND s'est plantée une fois (ou même plusieurs), cette possibilité est consubstancielle à l'exercice de toute recherche universitaire. Chercher, c'est accepter de se planter de temps à autres.
Je me souviens ainsi d'une étude effectuant la liaison entre le fort taux de suicide de je ne sais quelle région espagnole et forte présence du PC... Aussi, je pense que plus le champ sera investigué, plus les méthodes seront affinées, moins nous aurons l'occasion de voir certains types de plantages ;o)
Merci pour vos précisions.
Je n'ai rien contre le renseignement en tant qu'objet d'étude. Par contre, en parcourant les sites d'institutions américaines proposant des cycles d'Intelligence Studies, il m'a parfois semblé qu'il s'agissait moins d'analyser cette réalité sociale qu'est le monde du renseignement que de former des "analystes" capables de se prononcer sur toutes les questions liées à "l'intelligence" (le domaine est vaste) sans être spécialistes de quoi que ce soit (vous me rétorquerez peut-être, avec raison, que c'est aussi ce que l'on fait dans certaines hautes écoles parisiennes ...)
Concernant la RAND, le problème n'est pas seulement qu'elle s'est "plantée" (j'en conviens, cela arrive à tout le monde) mais plutôt que, dans bien des cas, ses rapports ne relèvent précisément pas de la recherche universitaire, ou du moins sont à peine dignes d'un paper de 1e bachelor. Cette médiocrité me paraît pouvoir s'expliquer par une certaine manière de travailler, à savoir l'idée qu'on peut s'ériger en expert d'une question sans être ni universitaire, ni journaliste de terrain, ni praticien (diplomate, militaire, etc ...). Tel était en particulier le cas de l'auteur de ce fameux rapport sur l'Arabie Saoudite.
Sur la RAND, je n'ai pas lu le rapport en question, mais en ce qui me concerne, je trouve que leurs travaux sont souvent de très bonne qualité. Les experts y travaillant font partie du top académique américaine (Bruce Hoffman pour ne citer que lui) ou d'anciens officiers/diplomates de haut niveau (même dans ce cas, il s'agit souvent d'individus ayant un PhD en plus d'une longue carrière d'expérience).
Pour le reste, on peut toujours être d'accord ou non avec un argument, ce qui est différent de remettre le document, l'auteur ou l'institution en doute.
Je ne dis pas que tous les rapports de la Rand sont de cet acabit. Par contre, il faut parfois être capable de disqualifier un auteur, non parce que ses arguments déplaisent mais parce qu'il ne maîtrise pas le sujet dont il parle. J'ai peut-être été malchanceux concernant la Rand, mais je suis tombé à au moins trois reprises sur des rapports ne satisfaisant pas au minimum des critères de la recherche académique.
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