jeudi 10 juillet 2008

Sur la nature du Djihad en Europe (3)

Thomas Renard poursuit le débat sur la nature du Djihad en Europe (il serait d'ailleurs plus exact de parler de son caractère ou de sa structure, soit de la forme qu'il prend - sa nature renvoyant me semble-t-il aux élémentaires de l'art de la guerre et cette dernière n'a fondamentalement pas changé de nature depuis, au choix, Assubanipal ou l'arme nucléaire).

Je pense effectivement qu'il y a coexistence de formes d'action de la part d'AQ et que cette dernière exploite à bon escient l'émergence du leaderless jihad voire des lonewolves. Cela renvoie parfaitement au principe (dans l'art militaire soviétique) de la corrélation des forces et, plus largement, au déploiement d'une stratégie intégrale articulant l'ensemble des dimensions de l'action, depuis le soutien (financier, etc.) jusqu'aux opérations d'influence ("récupération" politique du conflit israélo-palestinien, sites webs, etc.) en passant, bien entendu, par l'action.

De ce point de vue, j'ai effectivement été un peu limitatif en me bornant au seul aspect doctrinal. Ce qui est important, ici, c'est la combinatoire potentiellement infinie des actions. En combat conventionnel, les actions sont soit cumulatives, soit paralèles (cf. l'amiral Wylie). Elles renvoient à un ordonancement préçis afin d'obtenir un effet escompté (là, je rejoins le débat d'Olivier et de François sur la nature du centre de gravité en conflit irrégulier/asymétrique - attendez-moi, j'arrive !).

Or, le propre d'AQ est de rechercher des effets durables en situation d'infériorité "matérielle" (hommes, équipements) face à l'ennemi (nous). Pour ce faire, il va exploiter le temps long mais aussi surfer sur les effets induits d'une stratégie que nous pourrions qualifier de déstructurée sur la forme mais de structurée sur le fond. La théorie classique du terrorisme s'adapte ici parfaitement : faire jouer l'effet de surprise à fond en "insécurisant" des sociétés vulnérables par leur ancrage technicien (j'aurai plus à dire bientôt, en fonction notamment de mon nouvel ouvrage). L'objectif ne doit pas être atteint dans le temps court - conception chronostratégique très occidentale - mais jouera nécessairement dans le temps long : on ne fait pas s'effondrer nos sociétés ainsi : elles ont leur propre résilience.

Pour un Naji, indiquer qu'il ne faut pas attendre un "feu vert" d'AQ renvoie à l'exploitation maximale de ces effets tout en maximisant la sécurité des leaders d'AQ (renvoi au principe de sûreté). En fait, à ce stade se pose une autre question : celle de la frontière entre "terrorisme" et "insurrection", impliquant en l'occurrence des opérations ultra-distribuées, paradoxalement occidentalisées (i.e. exploitant les tendances individualistes des lonewolves potentiels). La question, ici, n'est pas celle de l'efficacité des actions au sens conventionnel du terme, soit atteindre la cible et la détruire.

Plutôt, l'efficacité des "méso-opérations" est effectivement et tu as tout à fait raison, dans la génération de psychose (pour renforcer les appareils sécuritaires et délégitimer les régimes politiques occidentaux aux yeux de leurs propres citoyens ?) et, plus important encore pour la réussite des "hyper-opérations" dans la dispersion des moyens des services occidentaux. Si les "méso-opérations" rapportent des effets induits en termes de destruction, c'est en outre "ça de pris". En gros et pour caricaturer, Naji nous fait une "clé de bras" stratégique : quel que soit le mouvement que nous faisons, nous sommes bloqués.

La seule option va demander (comme pour se sortir d'une clé de bras) un gros effort : face à un leaderless Jihad "optimal", le renforcement perpétuel de nos services n'est pas vraiment une option. Leur culture même limite la collaboration entre eux (qui est nécessaire : un "méga-service ne donnerait qu'un son de cloche sur des matières nécessitant de la nuance) et leur lourdeur risque de les faire s'effondrer sur eux-mêmes. Le renforcement des dispositifs légaux (lois "anti-terroristes") est politiquement attractif mais n'est qu'un leurre : ce n'est pas la loi qui empêche les actes d'êtres commis.

Non, plutôt, la seule solution réside dans le développement, de notre côté d'une combinatoire stratégique équivalente à celle de l'adversaire. Outre la reconnaissance du problème - en Belgique, au plan politique, elle a mis des années, exploitées à bon escient par l'adversaire - elle implique la mise en place d'un véritable tissu de sécurisation et, par dessous tout, l'acceptation du fait que nous pouvons encaisser des pertes - civiles naturellement. Il faut nous réorganiser d'urgence (on ne va pas faire la liste des problèmes). Un plan anti-radicalisation ou une loi sur les armes, de ces points de vues ne sont que des pièces de puzzle, sans plus. Il nous manque juste 60 % des autres pièces et des secteurs entiers sont laissés en friche. Ne parlons que de la réforme des services incendie, par exemple...

3 commentaires:

Cassandre a dit…

N'est-il pas extrémement difficile de faire accepter des pertes civiles par des sociétés de plus en plus individualiste ?

A.g. a dit…

Bonjour,
J'ai une question à la fois simpliste voire simplette, polémique voire outrancière.
En quoi le recours à la force brute concernant l'éradication pure et simple des menacess humaines par les sociétés visés des terroristes, à la manière russe ou plus démocratique israëlienne ne serait pas applicable aux occidentaux?
Ce que je veux dire par là c'est que si la population peut s'offusquer à juste titre qu'un gouvernement s'en prennent a ses citoyens qui versent dans le terrorisme pour des objectifs politiques internes, un peu comme les GAL espagnoles en leurs temps avec la minorités activiste basque, doit on systématiquement écarter l'option radicale sur les territoires extérieur dans la mesure ou ceux ci sont les incubateur des problèmes sur le sol national.
Après tout en poussant le cynisme,les russes ont résolus le problème de la tchétchénie qui était quand même un camp d'entrainement renommé pour les djihadistes de tous les pays.
La résilence à la mode ne passe t elle pas plus par l'accoutumance des population aux actions de recherche et destruction de l'ennemi que sa capacité a encaisser les pertes ?
De toute façon qu'elle que soit les actions menés par les pays occidentaux ou assimilé elles sont présenté comme des mesures oppresives, néo-colonialiste ou impérialiste donc pourquoi se retreindre?

Par contre qu'entendez vous par loi sur les armes ? La prohibition n'a jamais empêcher un terroriste de se procurer des armes .

Anonyme a dit…

Bonjour,

Quel va être le titre du livre mentionné dans le poste et quand va t'il sortir ?