samedi 30 juin 2007

Du côté des lectures (le retour)...

Je viens de tomber sur un texte d'Umberto Eco écrit en septembre 06 et paru dans le Nouvel Observateur, que vous pouvez lire ici, particulièrement intéressant de part le rôle dévolu à la culture - et notamment à l'ethnologie comme instrument de compréhension des acteurs d'un conflit.

Il l'est également du point de vue du rapport que l'auteur entretient à la guerre mais pas pour les mêmes raisons. Détrônant Clausewitz, Eco indique qu'"on a compris l'impossibilité et l'inutilité de la guerre traditionnelle, théorisée par Clausewitz. Au cours des siècles, pour qu'il y ait une guerre, il fallait deux camps en conflit, bien identifiables".

Eco, ici, se trompe quelque peu de cible : Clausewitz théorisait la relation entre guerre et politique. Cette relation, cette "formule", ne peut en aucun cas être une réduction/fusion abusive entre politique et Etat. Clausewitz a beau être confondu fréquemment avec l'époque des guerres totales - certes révolue - et comme le thuriféraire de la projection militaire du réalisme (au sens des Relations Internationales), l'auteur est plus complexe.

Notre cher vieux Carl est sans doute trop cité en étant trop peu lu. Comme s'il n'avait jamais donné de cours ou écrit sur la petite guerre (S. Picaud avait publié une démonstration très éclairante de cet intérêt dans DSI n°16) et alors même qu'il jugeait De la guerre complètement inachevé.

A ces égards, Clausewitz est très loin d'être mort : il n'a peut-être jamais été aussi vivant, ce qu'avec mes compères du RMES nous avions qualifié de néo-clausewitzianisme dans Au risque du chaos. Et je ne parle même pas là encore des brillants travaux qu'a notamment effectué Beyerchen sur le rapport de Clausewitz à la non-linéarité. Précisément celle qui est au coeur des dynamiques de la guerre réseaucentrée.

Pour en revenir à Eco, les "camps" sont toujours bien établis. Mais ils ne se mesurent plus à l'aune des frontières mais bien des choix politiques des individus, amalgamés en groupes sociopolitiques à la dynamique complexe. Donna Harraway, avec son bagou provoquant et incisif le résumait ainsi : à l'ère postmoderne (là, j'ai toujours un problème de définition avec elle mais ça n'enlève rien à ce qui va suivre), l'individu est une question de défense stratégique. Et elle n'a pas attendu le 11 septembre pour le dire.

Lorsque je l'avais cité sur un plateau télé après les attentats d'Istanbul (fin 2003) et que j'avais ajouté que l'éducation est une question de défense stratégique, aucun responsable politique sur le plateau n'avait cillé. Retour donc à la question de la culture. Umberto, j'ai donc fini de vous embêter !

vendredi 29 juin 2007

Russie : test réussi pour le Bulava

Après des tests infructueux, la marine russe a réussi, pour la première fois, à lancer un SLBM Bulava, en l’occurrence depuis le Dmitry Donskoi. Tiré depuis la mer Blanche, l’engin a atteint sa cible dans le Kamchatka. L’annonce est intervenue après les échecs des trois lancements précédents et, plus généralement, après que la marine se soit montrée incapable de mener des patrouilles de SNLE de façon continue. En 2004, deux tirs depuis des sous-marins devant V. Poutine, dans le cadre des manœuvres Sécurité 2004, avaient échoué.

mercredi 27 juin 2007

Du côté des lectures...

La doctrine mérite une place centrale dans la façon de concevoir les opérations militaires contemporaines, bien plus que la technologie, qui découle de la première. Pour prendre un exemple imagé, un bon marteau ne fera pas de vous un bon charpentier. Mais si vous êtes un bon charpentier, vous avez toutes les chances de choisir un bon marteau.

A ce titre, le CDEF (armée de Terre FR) met en ligne une série de documents doctrinaux depuis son site. Vous y trouverez le FT-01, un document que les Américains qualifieraient de "vision" et que j'avais eu l'occasion de critiquer dans le DSI de mars. Vous y trouverez également des doctrines dites "transverses" (stabilisation, sauvegarde terrestre, zone urbaine, FOT numérisée). Je ne vous détaillerai pas tout le site mais il est remarquable de constater que la pensée stratégique française montre qu'elle vit.

Certes, elle vivait avant ces mises en ligne mais ne le montrait pas. Ce qui, au vu du dynamisme américain sur le web, revient à dire qu'elle n'avait plus guère de visibilité. Par ailleurs, une série d'excellents ouvrages est récemment parue (je pense à Tactique théorique, La guerre en montagne, Guerres urbaines ou L'utilité de la force - les différents numéros de DSI ont permis d'interviewer leurs auteurs). Toutes ces publications ont leurs faiblesses mais les publications américaines n'en sont pas dénuées non plus. A tout le moins, la "grande muette" l'est de moins en moins.

C'est un gain démocratique indéniable mais c'est aussi la porte ouverte à des débats qui ne peuvent qu'aider : qui oserait dire que les Européens (ou les Américains, d'ailleurs) ont toujours eu raison ? Qu'ils sont les meilleurs ? Que leur expérience les empêchera de tomber dans des conflits dégénératifs ne résolvant rien ? Après tout, l'expérience ne vaut que si elle est transmise. De ce point de vue si, comme le faisait remarquer Michel Yakovleff, la réflexion stratégique ne garantit pas la réussite, son absence garantit l'échec. La réflexion bouillonne actuellement : n'ayons pas peur, la seule limite, c'est le monde des idées !

Typhons autrichiens

Un accord a finalement été trouvé entre les autorités autrichiennes et la direction d’Eurofighter, permettant de réduire la facture que devra payer Vienne pour ses nouveaux appareils de combat de 370 millions d’euros (sur un montant de départ de 2 milliards d’euros). In fine, 15 Typhoon seront livrés (18 avaient été commandés en 2003), configurés uniquement pour des missions de supériorité aérienne. Rappelons que la nouvelle majorité au pouvoir à Vienne entendait annuler le contrat, avant que des juristes n'indiquent que le renoncement serait plus coûteux que la poursuite du programme.

lundi 25 juin 2007

Blub blub

Où en est l'Avanced Technology Vessel indien ? Que valent les Akula II russes ? Que s'est-il passé à bord du Rubis ? Quels sont les projets chinois ?

Dans son édition de juillet-août (vacances obligent) et dans la foulée des articles parus dans T&A sur la future classe Suffren (Cf. T&A n°3), Défense et Sécurité Internationale vous offrira (notamment !) une plongée dans le monde des sous-marins nucléaires d'attaque.

Le n°28 de DSI sera disponible dès début juillet en kiosque !

Syrie/Iran : méga-contrats en vue pour la Russie ?

C’est le quotidien russe Kommersant qui l’affirme, la Russie aurait conclu avec la Syrie un contrat portant sur 5 Mig-31E Foxhound et sur « beaucoup » de Mig-29, pour un montant estimé à 1 milliard de dollars. Appareil très gourmand en carburant, le Mig-31 d’exportation ne serait pas doté d’une perche de ravitaillement en vol et son avionique (IFF, radar, absence de systèmes d’autoprotection) serait dégradée comparativement aux versions en service en Russie. Conçu comme une plateforme de lutte contre les missiles de croisière, l’appareil à une très faible manoeuvrabilité. Comparativement au Mig-25 qui pouvait atteindre M.3 (causant toutefois une usure particulièrement importante des moteurs et limitant drastiquement son autonomie), le Foxhound a une vitesse de M. 2,8.

La menace est donc, objectivement, à relativiser. D’autant plus que l’aviation syrienne n’a pas connu de renouvellement de ses capacités dans les années 1990. Mais il n’en demeure pas moins que l’impact politique de cette vente, si elle se confirme (la Russie tenant des propos ambigus à son égard, tandis que la direction de Mig confirmait que les commandes pour l’appareil arrivaient), sera particulièrement important en Israël, où la presse locale fait état de rumeurs concernant une possible guerre avec la Syrie durant cet été. Et des chercheurs israéliens d’indiquer, avec raison, que les commandes syriennes ne se limiteraient sans doute pas à 5 appareils (par ailleurs prélevés sur les réserves de l’armée russe). La faible disponibilité des appareils pousserait en effet à des commandes plus importantes, afin d’assurer une disponibilité permanente, les Israéliens estimant que 20 à 24 appareils serait un chiffre plus crédible. L’impact politique sera d’autant plus renforcé que, toujours selon le quotidien russe, les appareils auraient été financés par l’Iran, qu’ils pourraient fort bien équiper in fine.

A cet égard, Aviation Week, cette fois, indiquait sur base d’informations transmises par Rosoboronexport, que l’Iran négociait actuellement avec la Russie un contrat majeur portant sur des systèmes de défense aérienne S-300PMU2 mais, surtout, sur rien moins que 250 Su-30MK Flanker. Si l’information est à prendre au conditionnel (on ajoutera que le carnet de commande de l’appareil reste bien garni et que la totalité de ces appareils ne seraient mis en service que tardivement), il n’en demeure pas moins que, là aussi, la valeur politique de l’annonce est importante. Tombant au moment où la Russie semble plus précautionneuse qu’auparavant face aux ambitions nucléaires iraniennes, l’annonce montre également à quel point les manœuvres politiques en cours sont éminemment centrées sur les stratégies d’influence et les représentations induites par la technologie.