dimanche 13 juillet 2008

CDG et matérialité

Je profite du débat lancé par Olivier Kempf (zut, tu as raison, je suis à la bourre sur mes mails mais je ne t'oublie pas !) et François Duran sur la notion de centre de gravité pour faire un peu d'"incruste". J'avais eu envie de m'immiscer éhontément dans la cette très pertinente problématique il y a quelques jours mais... time is flying...

J'avais eu envie, surtout, de répondre au premier post de François, sur l'emploi du CDG par le général Yakovleff (la 7ème BB va faire des étincelles !). En fait, sa conception du CDG est l'un des rares points de son excellent ouvrage sur lequel je ne suis pas d'accord. En fait, je pense qu'il reste marqué par une vision trop tactique, presque jominienne du CDG. Au point que je m'étais dit à l'époque, qu'on pouvait le confondre avec le "point décisif", lui-même composante du CDG et effectivement plus jominien.

En fait, dans la conception clausewitzienne, il ne peut exister qu'un seul CDG, la source du pouvoir, de l'ascendant de l'adversaire. Or, ce pouvoir peut être matérialisé (les canons bosno-serbes autour de Sarajevo en 95, pour suivre le raisonnement de l'OTAN à l'époque, avant Deliberate Force) ou non. Je pense qu'en réalité, il n'est que rarement matérialisé. Pour reprendre Sarajevo 95', l'artillerie adverse était en réalité le point le plus décisif des points décisifs - je pense que le "vrai" CDG était la "pureté ethnique" défendue par Pale et, surtout, son acceptation/interprétation par des combattants fortement mobilisés d'un point de vue idéologique.

Certes, cette pureté était assimilable à un objectif de la guerre (un zweck, quoi). Mais c'est surtout la motivation induite chez les assiégeurs qui constituait ce CDG. A côté de celà, le nombre de combattant bosno-serbes, leur artillerie, leurs approvisionnements étaient autant de points décisifs (dûment attaqués par l'aviation et l'artillerie de l'OTAN ensuite). En ce sens, la possible valeur immatérielle d'un CDG le rend naturellement compatible à des opérations irrégulières. Mao, lorsqu'il entreprend sa Longue Marche, est le CDG chinois : il est à la fois commandant et "émetteur idéologique" : il fixe l'idéologie, les objectifs, la méthode et jusqu'à la tactique. Un vrai Head and shoulders, "tout en un", stratégique.

En fait, derrière ma réflexion se cache aussi une "remise à sa place" du CDG : je me demande dans quelle mesure il permet effectivement de conduire la guerre : savoir ce qui fait la force de l'adversaire est évidemment utile - c'est même l'une des première choses à considérer - mais de là découlent ensuite une série d'options. L'EFR et la génération d'un "effet majeur" (soit, grosso modo, le dominant effect de la théorie des EBO) devant permettre de l'atteindre est finalement relativement découplée du CDG. Plutôt, il va viser des points matériels ou, à tout le moins, plus tangibles.

Prenons un exemple : mon adversaire est une sorte de nébuleuse djihadiste comportant à la fois des chefs reconnus et leur soutien budgéto-logistique et une multitude de petits groupes s'en réclamant. Elle était initialement basée dans une zone géographique régie par un Etat en "stan" mais où l'Etat n'a jamais eu beaucoup prise. Le CDG de mon adversaire est sa doctrine, en l'occurrence : elle agrège des mécontements divers et variés et propose une lutte à mort dans le long terme en offrant ultimement à ses combattants le paradis.

Que faire ? Mener une campagne d'influence visant à "déconstruire" l'idéologie et la doctrine adverse est une solution mais qui , n'opèrera que dans le long terme : la contre-conviction n'est pas chose aisée. Or, ce temps peut être exploité pour l'adversaire et mener des opérations qui renforçeront sa légitimité auprès de populations susceptibles de fournir des combattants potentiels et donc, de le renforcer.

Autre option, "faire la chasse" et engager des troupes amies contre les points décisifs adverses, par exemple, des regroupements de gens que nous appelerions les "talibans" ou encore l'engagement de services de renseignement contre des cellules djihadistes en Europe. Là, des résultats seront accumulés dans le court terme mais n'éroderont pas nécessairement le CDG adverse.

Conclusion : il faut mener des options de court terme et de long terme et un CDG dématérialisé est plus complexe à combattre (surtout pour nos "sociétés impatientes") et implique de s'attaquer aux points décisifs, ne serait-ce que par la charge dissuadante que peuvent avoir nos actions sur l'adversaire. En tout état de cause, et là, je relance la balle du débat, tout CDG dématérialisé dépendra beaucoup plus des populations susceptibles de jouer un rôle quelconque dans les opérations que dans les matériels en tant que tels.

Ce qui nous renvoie droit à... Rupert Smith et Vincent Desportes. Les populations peuvent ne pas être qu'enjeu et cible, elles peuvent aussi être source (directe ou indirecte), réceptacle ou "activateurs" d'un CDG.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Général Yakovleff et débat sur le CDG: sommes-nous sûrs d'être en désaccord ?

Je trouve rarement l'occasion (ou l'envie) de me présenter sur des blogs où l'on évoque mes idées. Cela ne signifie pas que je m'en désintéresse ou que je me refuse à "croiser le fer" avec ceux qui me font l'honneur de prendre position avec ou contre moi.
Adonc, cher ami, il me semble que les exemples de CDG que vous citez sont de nature stratégique. Je ne disconviens pas de vos définitions appliquées en contexte. Je persiste à considérer que dans une décision d'ordre tactique, le CDG est peu pertinent. Dans une manoeuvre de dégagement de Sarajevo (exemple que vous évoquez), j'aurais eu un grand respect pour l'artillerie adverse mais je n'aurais pas ordonné ma réflexion tactique autour du concept de CDG. Normal, puisque je me sens plus à l'aise avec l'effet majeur.
Bon, personne ne m'a demandé mon avis pour dégager Sarajevo...
Bien cordialement à vous,
Général Yakovleff