Carl me demande si je peux poster sa dernière chronique, parue dans DSI n°48, actuellement en kiosque. Je la poste d'autant plus volontiers que, derrière ses délicieuses exagérations et un insight dans une de nos réunions de rédacion, se cache une vérité bien réelle : tout le monde entend augmenter les exportations de matériels français... mais le système lui-même génère des frictions l'empêchant de fonctionner. De quoi méditer alors que se prépare, tout doucement, le prochain Bourget.
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Comment, on n’aime pas les industriels français dans la presse ?
Carl en est encore hilare. Ça commence il y a 15 jours, en réunion de rédaction : mon vénéré rédac’ chef adjoint rentre de Suède – l’autre pays de la crevette – où quelqu’un a été assez fou pour lui remettre les clés d’un blindé, histoire qu’on voie si l’Airbag est opérationnel (note de JH : je n'ai fait aucun accident !). Il nous raconte sa visite. Tout, il a eu accès à tout. Résumé du dialogue :
« Carl. — Et les dégâts en Afghanistan ?
J.H. — Tout, ils m’ont tout montré. Les frappes de RPG, les dégâts avec du 7,62, les changements de moteurs, les essais d’IED… Ils ont fait défiler tous leurs spécialistes, j’ai eu toutes les photos que je voulais.
Carl. — Rien à cacher, donc ?
J.H. — Rien. Absolument rien. Ils ont tout montré. À force d’en parler, leur véhicule était tellement à poil qu’il était bon pour un club de strip-tease pour ingénieurs. Un rêve côté info. ».
D’où, une belle série d’articles à paraître dans DSI-T. Voilà pour l’autopromotion mais, en se prenant la traditionnelle croquette aux crevettes, votre vieux Carl ne pouvait s’empêcher de pester / râler / rigoler / réfléchir, et il y a de quoi. Pensez donc. On entend souvent les industriels français pester contre la presse anglo-saxonne (tout en l’arrosant de généreuses sommes pour y placer de la publicité) : elle serait incapable d’être gentille avec les industriels français, présenterait mal les choses et ne comprendrait pas le génie de nos ingénieurs. En gros, parce qu’on est des vilains / méchants / pas beaux Français, on nous traiterait mal.
Ah bon ? Regardons dans notre assiette. Vous êtes journaliste et vous avez posé un tas de questions ? Prenez un petit verre de vin, le dernier DSI, et fumez vous un « spliff », parce que ça va prendre du temps et que vous allez être stressé. Regardez les choses en face : la communication et le marketing des industriels de défense français est, dans son immense majorité, totalement arriérée, aussi incapable de fournir des vraies réponses que des photos pour les illustrer. Impossible de rencontrer les ingénieurs, impossible de discuter le coup, impossible de ne pas remettre dans les magazines les mêmes sempiternelles photos.
Bref, l’âge de pierre de la communication. Mais pourquoi donc ? Pourquoi est-il plus facile de travailler avec le monde entier – exception faite des Chinois et de certains Russes – qu’avec nos industriels ? Eux qui nous demandent par ailleurs de les soutenir – ce qui veut assez souvent dire relayer leurs communiqués, sans autre esprit critique ni abordage des questions intéressant directement les militaires ? Parce que, culturellement, nous sommes obsédés par le secret, les petites chasses gardées qui font les délices des cancans de machine à café et, plus que tout, parce que nous sommes inefficaces. Maintenant, imaginez Charlie « kill them all » Funky, spécialiste de je-ne-sais-quelle publication, débarquer chez un de nos fleurons : « Yeah, man, ton système, il est intéressant. Tu peux me dire comment je peux m’en servir ? »
Réponse laconique : « Euh… plus tard. D’ailleurs, toutes vos questions, plus tard. Tenez, reprenez un peu de champagne et lisez cette belle brochure qui ne dit rien. Après, on fera un petit voyage de presse tellement rapide que vous ne pourrez poser aucune question. » Évidemment, le champagne est bu et notre vieux Charlie Funky se dit qu’on cherche à lui cacher des choses. Et si on lui cache, c’est forcément que le matériel en question, c’est une blanquette. Une énorme blanquette. Un vrai choc culturel, surtout : à l’heure de la mondialisation, tout le monde surcommunique, sauf nos industriels, qui s’étonnent ensuite qu’on ne parle pas mieux d’eux. Comme si c’était encore au monde de s’adapter à nos habitudes.
La situation – on s’en désolera ou pas – a changé depuis belle lurette. Résultat des courses, même la presse française parle finalement peu des matériels français, plus aucun titre n’a le temps de prendre le temps de contourner les embûches culturelles que nous plaçons sur le chemin de nos propres exports. Alors, certes, me direz-vous, les départements marketing manquent d’argent et de moyens, les industriels doivent mieux se coordonner (si, si, c’est le petit Nicolas qui le dit, avec raison). Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Il y a des choses qui ne coûtent rien et rapportent beaucoup. Se poser des questions, par exemple…
Hélas, trois fois hélas, c'est bien vrai. Si l'armée française commence à faire de la bonne ''com'' depuis quelques temps, on se demande si notre ''CMI'' national embauche des jeunes cadres sortie des écoles de communication ou de publicité :)
RépondreSupprimerEt pourtant la Défense serait un des ministères considéré comme "un gros communicant". Et à dépensé 8,173 millions d'euro pour sa communication, études et sondages en 2007 selon le dernier rapport du député Dosière dont parle un article du Monde d'hier ou avant-hier.
RépondreSupprimerL'économie de marché, n'a que peu à voir avec une question de qualité et autres balivernes. C'est la loi du plus fort c'est tout. Et c'est encore plus vrai, pour ces marchandises que sont les armes.
RépondreSupprimerSi le rafale était étasuniendameriquedunord, il s'en serait déjà vendu plein. Et si les F15, 16, 18, 35, etc. étaient français, ils auraient connu le même sort que le...rafale, communication, ou pas communication.
Dans les années 50-60, la France a pu vendre des armes,parce que les EUd'AdN le voulaient bien, notamment en Israël. Cela a crée un petit marché. Aujourd'hui c'est fini.
Si je lis bien Carl Von C., il ne parle pas précisément de l'armée ou du MinDef mais des acteurs industriels
RépondreSupprimerVous ciblez ici une grande vérité: notre système est inefficace car nous n'avons pas mis en place les termes de l'efficacité. Les ingénieurs, comme les "chercheurs" français cherchent souvent davantage à préserver leurs subventions et contrats avec la puissance publique que de chercher à produire ce dont on a besoin. Nous sommes toujours gouvernés par une petite "élite des meilleurs" qui vit en vase clos et recrute rarement les vrai talents et les étouffe souvent pour éviter toute concurrence interne. Pas étonnant qu'elle ne puisse alors plus présenter ses réalisations à des journalistes faisant honnêtement leur travail.
RépondreSupprimerFinalement, la communication est davantage vouée à justfier des dépenses publiques qu'à faire la promotion des qualités du produit finalisé. A la décharge de nos élites, il faut bien avouer que les budgets américains de recherche colossaux n'aboutissent finalement qu'à des productions à peine meilleurs de celles du vieux continent.
Mais nous avons beaucoup à apprendre de la transparence et de l'efficacité scandinave! Qui en Norvège accepterait des budgets communication de plusieurs millions d'euros pour un ministre ou des frais de déplacement en avion s'élevant à plus de 4000€ par jour ouvert?
La nullité de notre politique de communication et d'influence est patente.
RépondreSupprimerLes industriels pensent que c'est a l'Etat de la faire et la payer, et les responsables de cette dernière sont nuls a ch***
Plus une politique de secret mal comprise.
''Com'' a destination du ''Grand public'' pour ses recrutements ;) Mais les industriels hexagonaux comme le Nexter ex GIAT n'ont pas le ''savoir faire'' de Boeing et autre Lockheed Martin pour faire du ''buzz'' autour de leur produit.
RépondreSupprimerIl suffit en autre de comparer le nombre de visionnages de matériel français et américains sur des sites public comme Dailymotion.
Les méthodes de communications vieillotes de nos industries de Défense n'ont telles pas un rapport avec l'âge assez avancés de ceux qui sont à leur têtes ? En Asie on a plus de jeunes dans les indusstries de ce type, ça peut avoir une influence sur leurs marketing plus modernes et "agressifs" ?
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