La tentative de « rétablissement de l’ordre constitutionnel » menée à partir dans la nuit du 7 au 8 août par la Géorgie au sein de la province séparatiste d’Ossétie du Sud (elle a déclaré son indépendance, non reconnue par la communauté internationale, en 1992) sera sans doute considérée à l’avenir comme un exemple typique d’aventurisme militaire. Au termes de tensions récurrentes ayant dernièrement vu la destruction d’au moins deux drones géorgiens, Tbilissi a mené un blitzkrieg en direction de la capitale ossète, Tskhinvali. Moscou, qui maintenait des troupes (officiellement qualifiées de « maintien de la paix » et assez lourdement équipées) dans la république séparatiste depuis 1992 et le traité de paix de Dagomys, contre-attaquera cependant rapidement, de sorte que les troupes géorgiennes seront contraintes au retrait, dès le 10 août. Dans le même temps, un nouveau front était ouvert, cette fois en Abkhazie, autre république pro-russe à l’indépendance auto-proclamée. Les opérations confirment plusieurs tendances.
Premièrement, la préparation relativement importante des forces géorgiennes comme russes. Alors que les premiers tirs sont entendus dans l’après-midi du 7 août – après l’annulation d’une réunion bipartite entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie – l’invasion de l’Ossétie commence le 8 août à 1h30, après un cessez-le-feu qui aura duré de 19h à 22h. La capitale ossète est atteinte par les premiers éléments géorgiens vers 7h du matin, le 8 août. Les forces de Tbilissi ont mené une campagne classique, fondée sur l’utilisation combinée de chars et d’artillerie. Elles disposaient également d’un appui ISR au moyen de drones. Comparativement, les troupes russes réagiront assez rapidement, menant dès la matinée du 8 août des raids sur la frontière géorgienne, utilisant des Su-24. Elles utiliseront également des systèmes antichars. elles interviendront, aussi, en soutien des forces abkhazes, particulièrement dans la vallée de Kodori.
Deuxièmement, l’aviation sera particulièrement mobilisée par la Russie, dans le cadre d’une stratégie duale, visant à la fois les positions géorgiennes en Ossétie, en coordination avec l’artillerie (il semble, à cet égard, que les leçons de leurs calamiteux engagements en Tchétchénie aient été retenues). A ce volet tactique s’adjoint un volet stratégique, les forces russes menant des raids sur les villes géorgiennes, visant des casernes et des bases aériennes (de même que l’aéroport de Tbilissi et son radar) mais faisant au passage de nombreuses victimes collatérales. Il n’est pas certain que ces dernières n’aient pas été voulues. Les évolutions de la doctrine russe, ces dernières années, laissent toujours place à la pression psychologique induite par des frappes touchant les populations civiles. Ainsi, le 11 août, les villes de Poti, Tbilissi et Gori (dont 80 % des habitants ont fui la ville) sont la cible de raids massifs de la part de l’aviation russe, plusieurs raids étant montés. La Russie, en tout état de cause, s’est assurée de la domination du ciel.
Troisièmement, le blocus naval reste une modalité de combat. La Russie a assez rapidement dépêché au moins un navire sur les côtes géorgiennes, cherchant à interdire le ravitaillement de la république par la voie maritime. Ce faisant, il semble qu’une vedette géorgienne ait été coulée. Quatrièmement, l’opération relève de la cinématique classique des conflits réguliers : la contre-attaque russe s’accompagne de l’aménagement de corridors humanitaires par les Géorgiens, destinés à l’évacuation des populations civiles. Les Russes cherchent également à maximiser la pression sur la Géorgie en ouvrant un second front – cherchant par là même à définitivement ancrer dans leurs sphère d’influence l’Abkhazie – tout en manoeuvrant sur le terrain psychologique, légitimant leurs opérations par des frappes qui auraient été menées par les Géorgiens contre des casernes abritant des soldats russes.
Cinquièmement, le conflit démontre l’importance de l’estimation des conséquences stratégiques dans la décision de lancer une action militaire. Se sentant, à tort, soutenu par les Occidentaux, il semble que le président géorgien ait clairement sous-estimé la réaction russe. Cette dernière passera aussi par le bombardement de casernes où se trouvent stationnés des instructeurs américains – envoyant ainsi et au passage à Washington un message clair, sans aucun doute entendu depuis longtemps, le soutien occidental n’étant guère que rhétorique. Dès lors, la puissance de feu supérieure des forces russes leur a permis de reprendre rapidement le contrôle de la capitale ossète, les Géorgiens n’ayant guère pu sécuriser leurs positions, malgré des investissements ayant connu une forte croissance ces dernières années. Le président géorgien n’a alors guère eu l’option, dès le 9 août, que de demander à plusieurs reprises un cessez-le-feu. A partir de ce moment, les options russes sont plus qu’ouvertes : ayant bousculé un dispositif géorgien incapable de se ressaisir, la Russie peut aussi bien jouer la carte du statu quo ante, celle de l’intégration à la Fédération de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie voire encore… rien moins que la prise de la Géorgie.
Sixièmement, cette micro-guerre bouscule largement les équilibres géopolitiques. Ainsi, comme le remarque O. Kempf, l’axe Washington-Ankara-Tbilissi-Bakou, dont on avait fait grand cas ces dernières années (notamment au regard de la construction de l’oléoduc BTC, sans doute coupé à plusieurs endroits du fait des récentes opérations), semble s’effondrer. Dans le même temps, l’axe Moscou-Erevan-Téhéran ne fait que se renforcer : le Caucase, si l’on peut s’exprimer ainsi, redevient russe. Ensuite, Moscou tient sans doute aussi sa revanche sur le Kosovo : partisane de la théorie de l’intégrité des frontières, Moscou a subi l’intervention de 1999 puis l’indépendance de 2008 de l’ancienne province serbe comme un affront. Mais à accepter que des provinces fassent définitivement sécession – et en récupérant l’Ossétie du Sud comme l’Abkhazie – la Russie ouvre aussi une porte dangereuse pour elle. La guerre de Tchétchénie, menée au nom de l’intégrité des frontières, aura été une guerre pour rien… et certains indépendantistes pourraient être tentés par l’aventure autonomiste.
C'est aussi pour la Russie une démonstration de force pour ses voisins qui seraient tentés d'encore se rapprocher de l'OTAN et s'écarter de la Russie.
RépondreSupprimerMais je pense en effet que le plus important est l'erreur du président géorgien, qui s'imaginait sûrement qu'il serait soutenu militairement par l'Occident.
Votre rédacteur en chef va bien ? Il y a posté 2 messages sur Air Défense puis silence radio.
RépondreSupprimerJoseph, il manque le "quatrièmement" dans votre billet.
RépondreSupprimerOn pourrait y mettre la cyberattaque russe et la prise de contrôle totale de l'information géorgienne décrite par Charles Bwele sur Électrosphère "http://electrosphere.blogspot.com/2008/08/la-russie-cyberpirate-la-georgie.html"
Je ne suis pas sûre que nous ayions une lecture si claire de l'objectif final. L'analyse médiatique occidentale fonce tête baissée et adopte unanimement l'explication assez simpliste de revendication territoriale et de refus du séparatisme, sur fond de volonté d'adhésion à l'UE ou d'intégration dans l'OTAN.
Il faudrait chercher le but visé au prochain coup sur l'échiquier caucasien, derrière la volonté d'un Caucase russe, la bataille des oléoducs avec les ennuis du projet Nabucco, et entre les sapes souterraines des services qui continuent la guerre froide…
Je suis justement en train de (re)lire le magnifique ouvrage de Mme CARRERE D'ENCAUSSE intitulé "l'empire d'Eurasie"... J'avoue trouver son analyse correcte bien que datant (déjà) de 2005 ou 2006: l'Empire russe est Eurasien et ne saura se contenter de jouer le second rôle en Asie Centrale ou dans le Caucase... J'opterais pour deux versions de la stratégie russe: minimale (rattachement Ossétie/Abkhazie) et maximale (contrôle indirect de la Géorgie). Cette dernière, malgré la "Révolution Rose" ne semble pas si impossible que cela: à tout le moins, si il n'y a pas occupation militaire, il pourra toujours y avoir "vassalisation". Les rapports entre Géorgie et Russie ont toujours été tendus du fait du peu de respect que les seconds montrèrent à la très ancienne dynastie des BAGRATIDES (et à leur non moins ancienne civilisation)..
RépondreSupprimerQuoiqu'il en soit, cela nous rappelle qu'il ne faut pas vendre la peau de l'ours (russe comme il se doit).......
Cordialement
Stéphane Taillat
Je viens de recevoir communication d'un appel du gouvernement géorgien à la communauté internationale face à l'invasion russe: cela rejoint ce que je disais dans mon précédent commentaire. A savoir que, si l'on replace cet évènement dans l'histoire longue des relations Russie/Géorgie, on ne peut qu'être frappé par le retour apparent de l'Histoire. Cela ne présuppose évidemment pas l'annexion future de la Géorgie... mais pour ce qui est de sa vassalisation, c'est moins sur...
RépondreSupprimerST
Et si nous envoyons nos trois coucous, Lambertz, De Donnea et l'autre zwanse?
RépondreSupprimerChangement de décor en Géorgie. Les Russes en controle du BTC, du Nabucco, du Baku-Sapsu...du gaz et de l'huile de l'asie centrale pour l'UE sous. Que les Turcs envoient leur force aérienne pour casser la suprématie aérienne Russe.
Moi, je vais me casser du Aviapartner.
Les Russes donnent une bonne lecon a ceux qui les croyait fini.
RépondreSupprimerIls n'ont pas l'intention de laisser l'OTAN les encercler a leur frontière et mettre la main sur le pétrole de la Caspienne.
Les USA ou l'Europe tolereraient ils des bases Russes en Corse ou a Cuba?
Ces etats croupions animés par un nationalisme exacarbé qui leur fait refuser a leur propre minorité ce qu'ils ont exigé des russes qui les traitaient plutot bien, ne méritent aucune sympathie.
Les Russes reconstruisent leur armée et on a pas fini d'entendre parler d'eux.
En attendant, on a une bonne tranche de rigolade en voyant les nains militaires européens essayer d'exister diplomatiquement à grand coup d'effet de manche et de brassage de vent.
Je ne doute pas que les russes les autoriseront a aller balayer les carreaux cassés quand cela sera fini et faire la démonstration de leur prodigieuse puissance miltaire (mort de rire).
La cinquième armée du monde dixit Morin enverra un ou deux regiments de boy scouts armé de serpillères et de quelques hélico poussif (si on en trouve).Et peut etre même une compagnie Belge pour faire bonne mesure!
Ce n'est pas grave que notre unique PA propore a terroriser le Congo ou le Yemen soit en carénage, on aurait meme pas pu lui faire franchir les Dardanelles.
Notre armée pourra toujours dire que l'on manque d'hommes et qu'il faut etre modéré sur la RGPP, et s'etonner ensuite de n'avoir que du matériel hors d'age.
Les Russes se font respecter et je n'ai qu'admiration et respect pour le Pierre le grand de notre époque i.e V Poutine qui sait aussi bien manier le baton que la carotte (ou quelques graines pour les Européens et francais dégénérés au dernier point et au crépuscule de leur histoire).
"la Russie ouvre aussi une porte dangereuse pour elle. La guerre de Tchétchénie, menée au nom de l’intégrité des frontières, aura été une guerre pour rien…"
RépondreSupprimerJe ne crompend pas ce passage.
La Tchétchénie reste Russe, et si la Russie récupère l'Ossétie du Sud ou autres elle récupere progressivement ses frontières historiques qui vont jusqu'en Iran.
Pour un Russe patriote l'intégrité des frontières, c'est l'URSS.
En quoi c'est une guerre pour rien?
Quel danger y a til a faire la guerre avec une telle superiorité et une armée qui revient au niveau et doté de milliers d'armes nucléaires pour tenir en respect les Chnois et américains, ou les Chihuahas européens?
Comme il est intéressant de comparer à vue de nez l'approche occidentale de la guerre - par définition humanitaire, sans emploi de la force, ultra-proportionnée - et celle de la russie, avec force de préparation d'artillerie, de tanks, de bmp's et d'infanterie motorisée, de bombardements aériens indiscriminés, de blocus. Tiens, des chars, des soldats, des canons, des avions, c'est pas justement ce dont les armées occidentales se débarrassent au profit de satellites, de véhicules à roues dotés d'un impressionnant 12.7 et de mortiers?
RépondreSupprimeralex
"l'approche occidentale de la guerre - par définition humanitaire, sans emploi de la force, ultra-proportionnée"
RépondreSupprimerApproche majoritaire franco Européenne de la "guerre" si on peut appeler cela cette conception étrange qui fait rire toute les puissances.
Les Américains savent faire la guerre eux et en ont les moyens.
Pour moi faire la guerre c'est tuer les adversaires et détruire ce qu'ils possèdent jusqu'a ce que les survivants se rendent et se soumettent à notre volonté et ce avec le minimum de pertes chez nous et de temps.
Et tant pis pour les dommages collatéraux chez l'ennemi: on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs et ils n'avaient qu'a empecher leur dirigeants de faire la guerre.
"… Pour moi faire la guerre c'est tuer les adversaires et détruire ce qu'ils possèdent jusqu'à ce que les survivants se rendent et se soumettent à notre volonté et ce avec le minimum de pertes chez nous et de temps."
RépondreSupprimer> ça c'est l'approche Cro-Magnon.
Ce ne sont pas les survivants qui se rendent (population civile ou état-major militaire) mais leurs dirigeants politiques.
"…avec le minimum de pertes chez nous et de temps."
> dans ce cas, rien de tel qu'une bonne frappe nucléaire, non ? Il n'y a même plus besoin de se déplacer. Et c'est qui, "chez nous" ? les franco-européens qui font "rire toute les puissances" ?
"…et ils n'avaient qu'à empêcher leur dirigeants de faire la guerre."
> belle parole de clavier. Effectivement, il n'y a qu'à aller sonner au palais ou au bunker-pc pour leur dire d'arrêter leurs niaiseries.
Vous pouvez consulter plus de 240 photos du conflit sur le blog français de polémologie THEATRUM BELLI : http://www.flickr.com/photos/theatrum-belli/sets/72157606625660548/
RépondreSupprimerCordialement.
TB