C'est un courrier que j'ai reçu cet après-midi de Monsieur L. (qui se reconnaîtra) et qui mérite amplement considération. Il va de soi que je suis tout aussi scandalisé :
Je viens d'apprendre que le Ministre de l'Éducation Nationale vient de décider de supprimer l'Histoire et la Géographie comme matières obligatoires (il se propose de les maintenir dans un cadre optionnel) en Terminale Scientifique. Je suis anéanti et scandalisé par une telle décision, dont je pense que tu as été par ailleurs averti.
Tout le monde peut comprendre, au vu de ce qu'est un lycéen aujourd'hui, et plus particulièrement dans une section scientifique avec une spécialisation renforcée par la réforme, qu'une telle décision va aboutir à la suppression totale de cet enseignement. Très peu nombreux seront les élèves qui prendront une telle option. Nous ne devons donc nourrir aucune illusion. Le caractère démagogique de la mesure est évident.
Il fait reposer sur les élèves la décision de prendre ou de ne pas prendre les cours d'Histoire et Géographie à un moment où la spécialisation de la filière vient d'être réaffirmée. Alors que, aujourd'hui, plus de 50% des élèves ont choisi la Terminale Scientifique, ceci revient à enlever l'enseignement d'Histoire et Géographie à cette même proportion. Seul le rétablissement de l'Histoire et de la Géographie dans le cadre de cours obligatoires peut garantir qu'elles seront suivies par les élèves des Terminales Scientifiques.
Cette scandaleuse décision survient au moment même où, de la commémoration de l'anniversaire de la mort de Guy Môquet au grand débat sur « l'identité nationale », en passant par le projet d'un musée de l'Histoire de France, la question de l'Histoire, mais aussi de la Géographie (car la conscience nationale s'enracine dans des pays et des paysages) occupe une place centrale dans notre pays. On se souvient du livre de Fernand Braudel Identité de la France, et de la place qu'il donnait à la fois aux paysages et à l'Histoire dans la construction d'un sentiment national. Ce dernier ne saurait renier ce qu'il doit à ces deux disciplines ou alors, mais nous n'osons croire que tel soit le projet du gouvernement, cela reviendrait implicitement à le faire reposer sur une couleur de peau ou une religion, avec ce que cela impliquerait pour le coup comme rupture avec ce qui fait l'essence même du sentiment national en France.
On peut alors s'interroger sur la logique d'une telle politique qui prétend faire de la conscience nationale une priorité, qui va même jusqu'à créer à cette fin un Ministère de l'Intégration, et qui la retire en réalité à la moitié des élèves de Terminale. Ce n'est plus de l'incohérence, c'est de la schizophrénie.
Au-delà, les raisons sont nombreuses qui militent pour le maintien d'un enseignement d'Histoire et de Géographie pour les Terminales Scientifiques.
Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l'Histoire et de la Géographie. Est-ce à dire que, pour le Ministère de l'Éducation Nationale, les élèves des Terminales Scientifiques sont appelés à être des citoyens de seconde zone ? Est-ce à dire que l'on n'attend plus d'un mathématicien ou d'un physicien qu'il soit aussi un citoyen ? Ou bien, voudrait on ici organiser à terme une France à deux vitesses où d'un côté on aurait de grands décideurs dont la science serait au prix de leur conscience, et de l'autre le simple citoyen auquel on pourrait laisser ce savoir si nécessaire car devenu sans objet dans la mesure où ce dit citoyen ne pourrait plus peser sur les décisions politiques ?
Il est vrai que l'on peut s'interroger aujourd'hui devant la réduction, sans cesse croissante, de la démocratie à ses simples formes, qui ont elles-mêmes été bafouées comme on l'a vu pour le vote du referendum de 2005.
Par ailleurs, cette décision est en réalité autodestructrice pour notre économie dont on prétend cependant que l'on veut en pousser l'externalisation. Aujourd'hui, dans les formations de pointe, qu'il s'agisse de Polytechnique (Chaire de management interculturel), des autres Grandes Écoles (École des Mines, École des Ponts et Chaussées) ou des Écoles de commerce et de gestion (HEC, ESSEC, SupdeCo, etc…), qui toutes impliquent de la part de l'étudiant une Terminale Scientifique, l'accent est mis sur la compréhension du monde contemporain. Ceci nécessite une formation de base en Géographie (humaine, économique et géopolitique) mais aussi une formation en Histoire afin de fournir les bases de compréhension des évolutions du monde contemporain. Ceci correspond à une demande spécifique des entreprises françaises qui sont de plus en plus engagées dans un processus d'internationalisation de leurs activités.
Qu'il s'agisse de la question des contrats, ou encore du développement d'activités à l'expatriation, la connaissance des fondements historiques, géographiques et culturels de ces sociétés, qui pour certaines sont très différentes de la nôtre, est absolument indispensable. L'absence de ces disciplines, ou la réduction de leurs horaires à la portion congrue, défavoriseraient considérablement ceux des élèves de Terminale Scientifique qui ne veulent pas s'orienter vers des activités strictement en liaison avec les sciences de la nature.
C'est donc avec le sentiment que quelque chose de très grave est en train de se produire si nous n'y prenons garde que je t'écris.
Moi-même, en temps qu'économiste, je ne cesse de mesurer ce que ma discipline doit à l'Histoire (pour l'histoire des crises économiques mais aussi des grandes institutions sociales et politiques dans lesquelles l'activité économique est insérée) mais aussi à la Géographie avec son étude des milieux naturels et humains, des phénomènes de densité tant démographique que sociale. Comment peut-on penser la crise actuelle sans la mémoire des crises précédentes ? Comment peut-on penser le développement de l'économie russe hors de tout contexte, comme si ce pays n'avait pas sa spécificité de par son histoire mais aussi de par son territoire ? Nous savons bien que les processus économiques ne sont pas les mêmes dans les capitales, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, et dans les régions.
On voit donc bien que si l'Économie n'est pas le simple prolongement de l'Histoire et de la Géographie, elle perd toute pertinence à ne pas se nourrir à ces deux disciplines, et ceci sans que cela soit exclusif d'autres (comme l'Anthropologie ou la Sociologie).
Et je ne parle pas ici de mes activités de recherches stratégiques, qui, bien entendu, nécessitent l'Histoire et la Géographie.
ENCORE une fois, l'attention ne va qu'aux S.
RépondreSupprimerLe chiffre d'une moitié d'élèves est à préciser. Logiquement cette part se limite aux bacs généraux. C'est faire l'impasse sur les bacs technologiques et professionnels. Parce qu'il faut rappeler que l'accès aux études supérieures n'est en rien limité par la lettre accolée aux termes "baccalauréat".
Certes être un S, c'est s'ouvrir toutes les portes et d'abord celle des "grandes" écoles. Mais si un bachelier scientifique est si remarquable, pourquoi ne pas se contenter d'enseigner histoire et géographie dans ces mêmes "grandes" écoles ?...
Parce qu'honnêtement, ce n'est pas un programme d'un an en histoire et géographie qui peut apporter une connaissance solide dans ces 2 matières. Construire sa culture, c'est d'abord un choix personnel, que ce soit dans où en dehors de l'école. Qu'un élève ne veuille pas apprendre et il n'apprendra, quelque soit le nombre d'heures consacré à un enseignement.
Comme le précédent commentaire : le chiffre de 50% est à vérifier.
RépondreSupprimerEnsuite, la lettre fait comme si on supprimait l'histoire géo pour tout le monde et depuis la primaire : c'est tout aussi démago que ce qui est pointé du doigt.
L'accès aux grandes écoles dont il est question n'est en rien lié au bac S :
On trouve des bac L à St Cyr, des bacs STT (STG) à HEC, des bac ES à Normale Sup', et des bac S un peu partout, évidemment.
Crier au scandale devrait faire s'inquiéter du reste : quid de la maîtrise du français par les scientifiques ? Etc ?
Le poids des maths va encore augmenter au détriment du reste, et c'est dommage, mais il ne faut pas verser dans la critique gueule ouvert et poing levé : ça n'est pas du tout constructif.
Mais quand même, moi je trouve que les matières "littéraires" sont trop méprisées : histoire, géographie, voire philosophie, tout le monde (beaucoup du moins) disent que ça ne sert à rien alors que pour moi c'est tout aussi important que des matières scientifiques. Ces matières sont indispensables pour comprendre notre monde, sa façon de fonctionner, mais aussi faire fonctionner son cerveau, réfléchir sur les actualités et le pourquoi de ce qui se passe. Les gens voudrait tout "mathématiser" parce qu'on trouve que les mathématiques sont précises, mais la réflexion, le comportement humain, ce n'est pas des mathématiques. C'est des comportements influencés par l'Histoire et la géographie. Combien d'erreurs n'ont pas été commises par manque de connaissances de l'histoire d'un peuple et de sa géographie et géopolitique ? Je ne dis pas qu'il faut en revenir à apprendre les départements français par coeur (ce que j'avais du faire en début de secondaire !), mais la culture doit être au centre des préoccupation du programme éducatif. Connaître les population, où elles vivent et comment elles vivent, comment elles pensent. C'est indispensable.
RépondreSupprimerComme le dit Kouak, l'attention ne va qu'aux filière S. Mais, inversment, qu'en est-il des filières L et ES?
RépondreSupprimerCes filières ont-elles un minimum de formation scientifiques (maths, mais aussi physique et biologie entre autres)? Comment prétendre aborder sereinement des sujets sur la santé par exemple sans un minimum de culture générale scientifique ?
Bref, la spécialisation n'est pas une bonne chose du tout...
Un élève apprendra toujours plus avec des heures de cours obligatoire que sans. On ne parle pas uniquement de culture mais de capacité à développer un avis critique indépendant en relation avec la politique qui s'appuie ,comme le débat actuel sur l'identité nationale, sur l'histoire. Sûr que pour des remarquables hautes études de socio, de psycho ou de staps, grand tremplin pour l'emploi -publique-, l'indépendance politique et l'épanouissement personnel comme chacun sait pas besoin de s'orienter en filière scientifique.
RépondreSupprimerJ'aimerai connaître la proportion des bac autres que S dans les grandes écoles citées et surtout leurs réussites aux diplômes sanctionnant leurs sorties. Le poids de l'histoire géo est risible en primaire et ne compense pas la suppression dans des filières du secondaire.
Souligner l'interdépendance, soutenir la parité des matières et ne pas défendre la disparition d'une d'entre elles pour ensuite déplorer dans le même texte une prédominance d'une matière qui n'augmentera pas en contrepartie n'est pas constructif, c'est risible.
C'est justement ce verbiage et les mains qui restent dans les poches, inutiles, qui permet de tirer vers le bas les capacités des populations à penser par elle-même leurs rapport avec leurs pairs.
Et réduire la Démocratie pour les individus au passage.
à Midship : Rendre une matière facultative a souvent été le premier pas avant sa suppression dans l'éducation nationale.
RépondreSupprimerEn tant qu'ancien élève récemment sorti du secondaire et d'une filière S, cette décision me révolte, plus plusieurs raisons :
-D'abord parce qu'elle implique une spécialisation précoce, et réclame des élèves de faire des choix pour leur futur à un âge où ils ne sont pas capables de les faire : Si la filière S est la plus demandée, ce n'est pas par amour des mathématiques (matière que bon nombre d'élèves de classes scientifiques détestent), c'est parce que c'est celle qui ferme le moins de portes dans l'enseignement supérieur.
-Tout comme l'auteur de la lettre, il me semble que des connaissances en histoire et la géographie sont essentielles pour exercer son devoir de "citoyen éclairé". Or les élèves de filières S se désintéressent déjà beaucoup trop de ces matières (car peu rentables en points au bac) pour ne pas qu'il soit nécessaire d'en rajouter en les rendant facultatives.
-Rendre un enseignement facultatif, en pratique est très souvent équivalent à le supprimer. La plupart des élèves de Terminale sont généralement beaucoup trop occupés par leur vie sentimentale/leurs sorties/leur passion pour un jeu vidéo en ligne pour être suffisamment motivés pour suivre des cours supplémentaires facultatifs. D'autant que lorsqu'ils s'imposent des heures d'enseignement supplémentaire, il s'agit dans l'immense majorité des cas de cours particuliers de mathématiques destinés à faire remonter leur moyenne pour avoir un dossier solide.
Quand j'étais en S (il y a une dizaine d'années de ça) L'histoire géographie était une de mes matière préférée, et clairement, une de celle qui m'a le plus apportée (plus que les mathématique, et c'ets aps peu dire)...
RépondreSupprimerSupprimer cet enseignement est juste un non sens, la compréhension de notre histoire et de la géographie mondiale est juste indispensable de nos jours. Un scientifique n'a pas besoin d'être un géographe émérite, mais on parle de cours de lycée là, pas de cours universitaires...
J'aurais même tendance à penser que certains cours devraient être ajoutés (u peu droit civil serait utile à beaucoup de monde)
La part d'élèves issus de S est écrasante dans les grandes écoles. Flirtant ou atteignant naturellement les 100% dans les grandes écoles scientifiques (X, Mines, etc), écrasant dans les écoles comme sciences po ou hec. Des étudiants issus de S finissent aussi en hypokhâgne...
RépondreSupprimerIl est alors navrant de supprimer cette option. Évidemment un élève non intéressé bachotera sans apprendre réellement, mais il est incontestable qu'il restera des traces. Par ailleurs, le programme de terminale S étant celui qui traite du monde à partir de 1919 (à ma connaissance, j'ai passé mon bac S il y a 5 ans), il s'agit d'un enseignement capital pour comprendre un minimum le monde contemporain. Vraiment dommage... surtout pour ce qui va être mis à la place. Encore des maths? Il y en aura tellement derrière pour ceux qui choisissent une prépa scientifique ou économique que ça ne changera pas grand-chose...
Sans oublier le fait que pour beaucoup d'élèves, les heures d'histoire sont la seule occasion d'avoir un contact avec l'histoire. On va avoir l'air malin dans dix ans quand certains de nos polytechniciens ne sauront pas ce qu'était le mur de Berlin...
RépondreSupprimerQue la proportion de S dans les écoles scientifiques n'a rien de choquant, jusque là, c'est logique. D'ailleurs, j'imagine mal quelqu'un d'une filière littéraire arriver à suivre avec succès des études dans une école d'ingénieur. J'ai déjà vu ce que donnait un pur littéraire qui voulait suivre une formation de pilote de ligne (au niveau bien inférieur à n'importe quelle école d'ingénieur), il avait énormément de mal (tellement qu'il a arrêté).
RépondreSupprimerPar contre, ce qui est plus choquant, effectivement, c'est la proportion de S dans des filières où a priori on s'attendrait à voir plus de L ou ES (écoles de commerces, Sciences-Po,...), et là, ça montre un gros problème de nos filières...