Les lecteurs de DSI le savent, la recherche sur les questions stratégiques n’est pas un luxe d’intellectuels – par ailleurs rarement en chambre. De fait, le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale a initié une réflexion nouvelle, appelant notamment à poursuivre dans la voie de l’analyse et de la prospective. De ce point de vue, deux événements semblent, en ces mois de septembre et octobre, se téléscoper.
1) L'optimalisation des structures de la recherche stratégique
Créé à l’initiative du ministère de la défense, l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM) a souhaité inaugurer ses activités par une journée d’étude consacrée à ces nouveaux défis, qui s’inscrit dans le cadre d’une « semaine de la pensée stratégique » organisée à l’école militaire sous le haut patronage du ministre de la défense.
Elle sera précédée le 5 par une réflexion sur les « publications de défense et le rayonnement de la pensée stratégique » et suivie le 7, d’une journée dite « confluences de l’IRSEM », destinée à favoriser et développer les relations entre spécialistes civils et militaires de la réflexion stratégique. C’est également le 6 octobre que sera inauguré le CDEM – Centre de Documentation de l’Ecole Militaire – que l’IRSEM partagera avec le CSFRS (Conseil Supérieur Français de Recherche Stratégique). Ce dernier est issu du rassemblement de l’IHEDN, du CHEAR, de l’IHNES et de l’IERSE, prôné dans le « rapport Bauer ».
De quoi effectivement et considérablement renforcer les capacités françaises de recherche stratégique. L’IRSEM est quant à lui rapidement monté en puissance. Rassemblant des structures de recherche déjà existantes (CEREM, C2SD, CEHD et CHEAr), l’objectif visé est le renforcement, en France, d’une pensée stratégique et de défense novatrice et de haut niveau, répondant aux besoins exprimés par les responsables du ministère comme aux exigences scientifiques de la communauté académique, au travers de 4 missions :
- le renforcement de la recherche française en matière de défense, par la production d’études internes, la proposition de commande et le pilotage d’études EPS, au bénéfice de l’expertise du ministère de la défense,
- l’encouragement aux jeunes chercheurs sur les questions de défense, afin de favoriser l’émergence d’une relève française en matière d’études stratégiques.
- le rayonnement et la diffusion de la pensée stratégique française en Europe et à l’international, ainsi que son inscription dans les réseaux internationaux en la matière, grâce à un renforcement de la relation avec le monde de la réflexion sur les questions de défense : Université, recherche, think tanks, en France et à l’étranger ;
- le soutien à l’enseignement militaire supérieur.
Aussi, A l’horizon 2012, l’IRSEM devrait rassembler 49 personnes dont environ 35 chercheurs. Il sera constitué d’une équipe de direction, d’une direction des études rassemblant 8 directeurs de domaines d’études et d’un pool de recherche comptant 24 chargés d’études ; le tout soutenu par une équipe d’assistance à la recherche de 9 personnes. L’équipe dirigeante est composée du professeur Charillon, directeur, du professeur Ramel, directeur scientifique et du général (2S) Beyer, secrétaire général ; elle sera complétée ultérieurement par la désignation d’un président.
L’activité recherche de l’institut, s’articule autour de 8 domaines d’études : nouveaux conflits (colonel Goya) ; pensée stratégique et nouveaux concepts ; armement et prolifération ; sécurité européenne et transatlantique ; sécurités régionales comparées (amiral (2S) Dufourcq) ; défense et société ; histoire de la défense et de l’armement (professeur Romer) ; enjeux juridiques de la défense (professeur Pancracio).
2) Le baptême du feu du général Abrial à l’ACT…
Cette évolution pour le moins radicale des structures de la recherche stratégique en France – qui ne mettra aucunement en danger les centres de recherche préexistants – devrait mettre le pays dans un « ordre de bataille intellectuel » d’autant plus nécessaire que la prise de fonction du général Abrial comme commandant de l’Alied Transformation Command (soit comme SACT) va mettre à l’épreuve la « French touch » en matière de pensée stratégique. Il a pris ses fonctions le 9 septembre 2009, à bord du porte-avions Eisenhower (« Ike » a, en son temps, été le premier SACEUR), succédant ainsi au général Mattis – que nos lecteurs connaissent bien, notamment pour ses vues critiques sur les opérations basées sur les effets.
L’événement, à cet égard, est exceptionnel : depuis la création de l’OTAN en 1949, c’est la première fois qu’un général non-américain prendra la tête d’un des deux commandements stratégiques de l’OTAN. Basé à Norfolk, le général devra piloter la réforme des armées OTAN, non seulement des points de vue de l’expression des besoins – domaine qui reste encore largement du ressort national – mais également du point de vue doctrinal. C’est dire si l’arrivée d’Abrial constitue une véritable révolution : avec lui, c’est la tête pensante de l’OTAN qui devient française. Reste, cependant, quelques écueils potentiels à ce tableau idyllique.
SACT sous la loupe américaine
Premièrement, l’influence de la pensée américaine reste vivace et ce n’est sans doute pas un hasard si le général Abrial, issu d’une armée de l’Air plus réceptive que les autres armées aux conceptions US a été choisi. Nonobstant ses réelles qualités humaines, intellectuelles et de commandement, il apparaît également comme un « choix diplomatique » bienvenu afin de ne pas choquer outre-mesure des Américains… Qui se plient certes aux positions de Washington mais qui n’en restent pas moins, parfois, assez peu courtois.
Au général de dégotter, par exemple, un logement de fonction. Et aux journalistes devant couvrir sa prise de fonction de trouver plus vite que ça un visa spécifique, tellement kafkaïen que l’ambassade US à Bruxelles demandait les 3 dernières fiches de salaire… afin de prouver la capacité des journalistes à couvrir leurs frais. Pour un séjour de moins de 24 heures, on avouera qu’il fallait oser.
Plus sérieusement, nombreux seront les défis pour le nouvel ACT. L’Afghanistan, d’abord. La poursuite des réflexions se montre indispensable, en particulier dans un contexte ou l’opinion publique et les médias ne cessent de remettre en question la pertinence des choix non seulement français mais aussi otaniens.
Deuxièmement, l’évolution de l’Alliance elle-même, un nouveau concept stratégique devant être présenté au prochain sommet de l’organisation. Là, les défis se multiplient. Bruxelles s’engage dans des missions et des conceptions qu’elle avait peu investigué par le passé. La piraterie maritime, la protection des infrastructures critique sont notamment au menu.
Sans encore compter les défis plus « classiques »… à commencer par une prolifération nucléaire qui n’est plus guère ralentie par le Traité de Non-Prolifération. En somme, c’est un véritable défi qui attend le général… dont l’action, à n’en pas douter, sera scrupuleusement observée par les autres partenaires de l’OTAN, à commencer par les Américains eux-mêmes… En un mot donc, good luck, general - We're with you !
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