Selon Le Soir, le général Charles-Henri Delcour, Chief of Defence belge (chef d'état-major des armées), se serait dit prêt à mettre son "veto" à toute nouvelle demande de son ministre de la Défense, Pieter De Crem, en matière de déploiement de nouvelles forces à l'étranger, ou à amplifier quelque mission existante.
Le geste est inédit, "d'une extrême gravité" selon des observateurs : "un tel veto, cela ne s'est jamais produit. L'armée qui dit non à son politique de tutelle, ce serait une première...". Toujours selon Le Soir, le CHOD a fait part de cette menace devant trois représentants des syndicats le 16 juillet dernier. Les militaires en Afghanistan n’ont, entre autres, pas assez de gilets pare-balles : "ils doivent se les échanger".
Alors, derrière les commentaires alarmistes, comment lire cette "rebéllion" (qui reste par ailleurs à confirmer) ? Premières remarques sur le contexte :
1- Pas de chance pour De Crem : celui qui, à mon sens, a été le seul ministre de la défense belge valable de ces 20 dernières années (pour le reste de ces options politiques, notamment dsur BHV, je reste très dubitatif) fait face à une armée.... dépouillée. Les réformes à répétition de ces 20 dernières années n'ont été qu'une suite d'ajustements financiers, l'état-major essayant de limiter la casse. Mais le vrai problème réside dans la perception qu'à le politique de l'armée, dont le budget est considéré non comme une nécessité mais bien comme une variable d'ajustement structurelle...
2- De fait, le moral est bas, malgré un véritable professionalisme et un taux d'engagement en opérations extérieure plus que raisonnable. Mais le politique, depuis la grande réforme de 1999 n'a pas honoré ses promesses d'indexation du budget défense. En conséquence, la transformation initiée par André Flahaut n'a pu être menée à son terme et le budget équipement est le grand perdant. De toutes les nations OTAN, la Belgique (malgré 10 milions d'habitants, ce qui est loin d'en faire un "petit pays" de l'Union, plutôt un "moyen") est la dernière en terme de pourcentage du budget consacré aux équipements. C'est dire...
3- Le moral est d'autant plus bas que les débats politiques sur les questions de défense sont... quasi-anémiques et se focalisent surtout sur la question afghane (au surplus, uniquement sous l'angle des pertes). De ce point de vue, la perception qu'ont les militaires du niveau politique est problématique : ils sont tiraillés entre la fidélité à l'Etat et le manque de considération des élus pour eux...
4- Le contexte récent à toute son importance. Les dernières déclarations du ministre du budget son sans appel : "le pays est dans une situation de faillite virtuelle". Ce qui laisse légitimement craindre pour le budget de la défense. Or, le ministère a déjà embrayé depuis quelques temps : une note confidentielle sur la réduction des effectifs et la nécessité de fermer plusieurs implantations a été récemment éventée.
5- CHOD/ministre, ce n'est peut être pas ce que l'on pourrait croire : le torchon brûle-t-il entre le ministre et son CHOD ? Pas nécessairement. Jusqu'ici, les CHOD avaient été tèrs prudents dans l'énonciation de leurs critiques. Les anciens ministres de la défense continuaient alors de ne pas réclamer plus d'argent au conseil des ministres. Ici, la situation est peut être toute autre : De Crem pourrait bien être le seul à réclamer plus d'argent. Ou, en tous cas, à exiger que l'on ne touche pas à son ministère, déjà sérieusement sous pression...
6- Mais pour cela, il faut prendre les devants. De fait, la part prise par le personnel dans le budget reste trop importante. La focalisation excessive sur des conceptions de type "lorsque l'on rentre à l'armée, c'est pour en sortir à la retraite" perdure largement. Et le plan Flahaut de Carrière mixte (qui aurait abouti à un ratio d'environ 10.000 civils pour 30.000 militaires) n'a fait que faire perdurer cette culture bien particulière. Seul problème : que faire avec autant de civils (dès lors, en particulier, que plusieurs fonctions sont déjà externalisées) ?
7- Aussi, ce qui est en train de se passer est peut être, plus qu'une révolution politique, une révolution managériale sur laquelle, en interne, pas mal de monde s'entend. Trop souvent, la carrière militaire est percue comme une carrière certes sympathique mais où, finalement, on ne peut vous dégager. En somme - et plusieurs politiques le pensent - un endroit permettant d'éviter que des gens n'aillent grossir les rangs du chômage. Peu importe, dans ce cas, les contraintes opérationnelles ou celles que font peser la masse salariale sur les équipements....
8- Or, ce n'est pas un coup d'Etat qui nous attend (contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture bien trop rapide de la presse) qu'un schisme profond entre deux armées : l'une, motivée, opérationnelle et alternant rapidement les rotations entre théâtres extérieurs (nous n'en sommes pas encore au stade britannique mais la fatigue commence à s'installer) et... des simili-fonctionnaires. Or, De Crem et le CHOD sont tous les deux dans une optique de recherche de l'efficacité. Ce qui se passe pourrait donc bien, en réalité, relever de stratégies certes légèrement différentes pour les deux hommes mais, peut être visant un objectif similaire...
Un général moins va-t-en guerre que son ministre ce n'est pas si courant. Vive la Belgique unie.
RépondreSupprimerUn éclairage intéressant lorsqu'on est un français (par définition) franco-centré.
RépondreSupprimerIl est en effet étonnant, à première vue, de constater l'écart culturel entre nos deux pays, pourtant si proches.
Je trouve honteux qu'un pays comme la Belgique, avec autant d'installations Otanienne sur son territoire, ne dépense pas plus pour ses armées.
RépondreSupprimer"Je trouve honteux qu'un pays comme la Belgique, avec autant d'installations Otanienne sur son territoire, ne dépense pas plus pour ses armées"
RépondreSupprimerEn effet. On a le QG de l'OTAN et le SHAPE sur notre territoire et on se permet d'être parmi les pires (peut-être LE pire) élèves de l'Alliance atlantique. Quel bel exemple...
Personnellement, je trouve que l'OTAN n'est pas assez ferme avec les états membres qui ne remplissent pas leurs obligations comme la Belgique. Les mauvais élèves devraient être "punis" en étant, par exemple, exclus de certains processus de consultations et de décisions. Des alliances comme l'OTAN sont basés sur la solidarité et l'attitude de certains membres, qui de plus en plus ont tendance à compter sur les autres pour assurer leur défense, compromet l'avenir de l'Alliance.
De même, l'OTAN aurait du choisir un autre pays pour héberger le nouveau QG de l'OTAN actuellement en cours de construction à Bruxelles. Pourquoi récompenser un pays qui est de plus en plus un parasite au sein de l'OTAN ?