lundi 27 juillet 2009

Armes nucléaires en Belgique : pourquoi Philippe Mahoux se trompe de cible

Paradoxalement, c'est par la presse japonaise que l'on a appris l'intention du sénateur Philippe Mahoux de déposer une proposition de loi portant sur la prohibition "de la fabrication, de la réparation, de l’exposition, de la vente, du transport et du dépôt sur le territoire belge des systèmes d’armement nucléaire".

La Belgique accueille à Kleine Brogel une vingtaine de bombes B-61 destinées à éventuellement être larguées par les F-16 qui y sont basés. Je ne reviendrai pas là-dessus, André Dumoulin ayant très largement (et très pertinemment) travaillé sur la question.

Par contre, le sénateur se trompe, sur plusieurs points :

- Premièrement, la question est éminement politique : l'implication de la Belgique dans le dispositif otanien relève d'accords secrets avec Washington - personne n'en connait donc la teneur exacte. Cependant, les "doubles clés" permettent également à Bruxelles d'avoir son mot à dire en matière d'utilisation potentielle de ces armes :

- Deuxièmement, révéler cette teneur pourrait ne pas être une bonne idée, d'autant plus que les réductions successives du budget de défense belge ont eu le don d'énerver nos partenaires de l'OTAN : si ces armes permettent à la Belgique d'être entendue à Washington, elles permettent aussi d'acheter "en nature" une partie de la sécurité de Bruxelles.

- Troisièmement, comme le montre bien J-P. Baulon, il existe une corrélation historique entre remise en question des éléments de la dissuasion (comme de la dissuasion elle-même) et focalisation sur les antimissiles. L'avènement de B. Obama et de son attitude plus méfiante à l'égard de ces systèmes, ne doit pas faire oublier la sociologie politique de Washington et le fait que les lobby pro-antimissiles y restent influents. Or, ces antimissiles sont également dans la ligne de mire des mouvements pacifistes auquel se rattache P. Mahoux.

- Quatrièmement, si l'intention du sénateur de favoriser la non-prolifération "en évitant de donner le mauvais exemple" est louable, force est aussi de constater que, depuis le milieu des années 1980, le nombre d'armes britanniques, françaises, américaines et russes n'a cessé de décroître. Il s'agissait également de réduire la tentation de la prolifération. Mais force est de constater que "l'exemple" donné n'a pas calmé les ardeurs prolifératoires des uns et des autres. Fondamentalement, on ne construit pas des armes nucléaires "pour imiter" les grandes puissances mais bien pour disposer d'un argument politique de poids.

- Cinquièmement, cet argument politique de poids intègre des stratégies dissuasives complexes mais bénéficiant d'une cohérence certaine. Alors que nous ne disposons toujours pas de garanties de la Russie en matière de déciblage des villes européennes - Moscou avait annoncé que les grandes villes européennes (dont, évidemment, Bruxelles) seraient à nouveau ciblées, l'an passé - est-il véritablement temps de "désarmer" ainsi et de se priver d'un élément élargissant considérablement notre liberté de manoeuvre politique ?

- Sixièmement, si le sénateur peut se targuer de succès en matière de lutte contre les armes "sales"(je ne connais toutefois que très peu d'armes propres), force est aussi de constater que les armes nucléaires ne relèvent évidemment pas de la logique d'emploi propres aux armes à sous-munitions ou aux mines antipersonnels... Le nucléaire, par son statut dissuasif et lorsqu'il est intégré à des doctrines telles que les nôtres, est fondamentalement une arme politique, de non-emploi en premier.

Vous l'aurez compris, je suis plutôt dubitatif quant à l'initiative de P. Mahoux - au demeurant une arlésienne du mouvement pacifiste belge dont sa vertu principale pourrait renvoyer au jeu politique interne post-élections régionales. Si je pense qu'il est nécessaire d'avoir de vrais débats sratégiques, je me demande quelle peut être la pertinence d'une telle sortie pour la stature internationale belge mais aussi pour la sécurité des Belges dans leur ensemble...

6 commentaires:

  1. Ouh... quelque chose me dit que notre Andrew Marshall national ne va pas tarder à encore mettre de l'animation. Pas de bol pour Mahoux, "Yoda" n'est pas en vacances ;o)

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  2. Je préfère les antimissiles aux missiles ;) Quand a ce qui concernent les quelques centaines d'armes nucléaires US en Europe, rappelons que dans les années 80, on craignait justement un découplage US/Europe de l'Ouest si justement celle ci disparaissaient.

    Même si cela n'est pas marrant d'avoir des ADM chez soi, cela implique que la 1ere puissance militaire mondiale s'intéresse à ta sécurité, et cela permet aux politiques locaux de faire des économies sur la défense car comptant sur les cousins d'outre Atlantique...

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  3. Dommage que cet article se cantonne dans une analyse purement réaliste et militaro-centré qui considère que la puissance d'une nation s'évalue à son arsenal militaire. Je fais partie des peut-être trop optimistes qui pensent que c'est une vision désuette des relations internationales.

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  4. La Belgique est-elle le pays des effets de manches et d'annonce?

    De la micro-vision électoraliste à ultra-court terme?

    Des comptes et de la vision de l'addition clôturée à la fin du mandat et de l'absence totale de responsabilité pour ce qui se passera à plus long terme?

    (NB: la gestion de la crise des années 70, et la gestion de la présente crise semble le confirmer. Dans le journal, je lis aujourd'hui que l'austérité absolue est annoncée par Vanhengel et que l'olivier demande l'augmentation des minimas sociaux. On va rire.)

    En ce qui me concerne, ce pays me désespère.

    alex

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  5. Pour information, si vous l’ignorez, le rapport le plus récent sur les armes nucléaires américaines en Europe a été réalisé par Jean-Marie Collin, consultant et chercheur associé au GRIP : « Les armes nucléaires de l’OTAN fin de partie ou redéploiement ? »

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  6. Que nenni, je ne l'ignore pas mais le Cahier du CRISP d'André Dumoulin 1) était focalisé sur la Belgique et était, de ce point de vue belge 2) plus complet et donc plus pertinent.

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